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LA POLITIQUE FRANÇAISE
APRÈS
SADOWA


I

A mesure que l’événement de 1866 se déroulait et que l’accroissement de la Prusse en sortait plus apparent, une vive émotion se produisit en France dans la partie de la nation qui s’occupait assidûment de la chose publique, aussi bien parmi les amis et les conseillers de l’Empire que parmi ses ennemis.

Lamartine, très souffrant et comme engourdi par l’âge, se tenait encore tous les soirs dans son salon de la rue de la Ville-l’Evêque ; mais il ne l’animait plus de sa noble et éloquente parole ; il serrait la main à ses visiteurs et assistait, silencieux et comme absent, à la conversation qu’ils échangeaient devant lui. Un soir que j’étais là, on s’entretenait tristement des ambitions heureuses de la Prusse et l’on répétait, comme l’avait écrit le poète, que « l’unité de l’Allemagne serait la mort de la France, la perspective la plus anti-française qu’ait pu offrir à nos ennemis le génie de l’absurde[1]. » Tout à coup, Lamartine se lève, debout, comme un spectre, et, de sa forte voix d’autrefois, s’écrie : » Non ! non ! la France ne permettra pas cela ; » et, brisé par l’effort, il s’affaisse au milieu de notre émotion.

« Ce qui est arrivé, disait tout haut Thiers, est pour la France an malheur tel qu’elle n’en a pas éprouvé de plus grand en quatre

  1. Entretiens littéraires.