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étaient dans toutes les bouches ; on était chez vous, on n’avait pas grand mérite à penser à vous ; mais, hors de chez vous, on y pense aussi ; vous avez laissé un renom excellent, et ce qui transpire jusqu’ici de votre belle conduite en Afrique ne fait qu’y ajouter. Mais on vous aime aussi, ce qui, pour les princes, est plus difficile encore que d’être estimé. Le souvenir qu’on vous garde est, je le vois bien, tout empreint d’affection et, en vous le disant, ce n’est pas une flatterie que je vous adresse : elle serait bien gauche sous ma plume ; c’est un légitime plaisir que je veux vous faire, sûr que cette certitude d’être aimé se mêlera agréablement pour vous aux rigueurs et aux dangers de votre existence africaine. Je suis d’ailleurs positivement chargé par tous ceux que j’ai réunis chez vous de vous transmettre leurs vœux, et l’expression de leur ancien dévouement ; c’est une mission à laquelle je n’ai pas voulu manquer.


Vendredi 21 mai.

J’ignore tout à fait, mon cher Prince, où cette lettre vous trouvera… La princesse Clémentine a bien voulu me communiquer, il y a trois jours, une copie qu’elle a fait faire de votre journal pendant la première campagne sur Médéah ; mais cette lecture, qui a pour moi un vif intérêt par l’affection que je vous porte, et par le mérite d’un style à la fois naïf et ferme, cette lecture ne m’a rien appris du présent ni de l’avenir. Si vous voulez, des fêtes de Chantilly, un récit que j’ai essayé de rendre exact, lisez le Journal des Débats du mercredi 19 mai ; je ne pourrais vous en dire davantage. J’ai voulu répondre à l’aimable bienveillance du Prince royal, qui, évidemment, m’avait invité à votre intention, et j’y suis allé les deux derniers jours. Le Prince y avait déployé une magnificence toute royale. L’affluence était grande. Le temps a été superbe. Il est impossible d’avoir plus de bonheur. Cela me rappelait qu’un an auparavant, et dans une circonstance bien autrement grave, votre aîné avait encore retrouvé sa bonne étoile au passage du col ; c’était, je crois, jour pour jour. Ce rapprochement entre des fêtes si brillantes et une expédition si périlleuse était dans l’esprit de tout le monde. Mais un autre contraste diminuait la joie de celui-là : c’était de vous savoir exposé à tous les dangers, couchant sur la dure, et souvent privé de tout, comme le témoigne votre journal, pendant qu’on faisait ripaille chez vous et qu’on tirait des fusées