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une année, cette année décisive qui devait, dans la prévision de ma vieille sollicitude pour vous, compléter vos études, et « commencer » celles qui vous feront un homme supérieur, car, au bout d’un an, elles ne seront encore que commencées ; mais, si elles le sont bien, vous pourrez toujours, et à chaque intervalle de loisir que les événemens vous laisseront, y rattacher les efforts et les travaux que vous continuerez plus tard. Je ne crois pas à la guerre immédiate ; vous aurez donc un moment de répit. Profitez-en, car « l’avenir est gros d’orage. » Cette phrase, empruntée à la polémique des épiciers, est, aujourd’hui, digne d’entrer dans le langage des esprits sérieux. Jamais la partie ne m’a paru plus engagée entre les gouvernemens de droit divin et les trônes constitutionnels. L’Angleterre se tourne contre nous, parce qu’elle s’avise que la liberté nous rapporte plus de prospérité qu’elle n’en attendait pour nous d’une révolution populaire. Le temps des alliances de principe est passé avec elle : son intérêt l’emporte : quand elle a écouté d’autres inspirations, c’est qu’elle a eu peur. Rassurée aujourd’hui sur la puissance du parti radical, qui s’est montré, chez elle comme chez nous, violent sans énergie et déclamateur sans principes, elle ne craint plus d’engager avec nous une querelle où elle espère avoir raison de la vitalité nationale qui s’est réveillée en France. Il faut donc se tenir sur ses gardes, rester à Paris, s’y préparer le corps et l’âme à des épreuves sérieuses, y fortifier son esprit, car c’est la seule puissance qui vous fasse, aujourd’hui, supérieur ; mais, quand on la reconnaît en vous, cette puissance, votre haute position en double l’effet, le prestige et l’éclat. Vous n’êtes donc pas si mal partagé, puisque le pays, en vous donnant tous les moyens d’être supérieur, est toujours disposé à subir cette supériorité, du joui où elle existe réellement.

Adieu, demain je pars pour Bade…


Marseille, 19 mars 1841[1].

Je vais quitter Marseille, mon bien cher Prince, et mettre

  1. M. le Duc d’Aumale avait passé la fin de l’année 1840 à Vincennes, « détaché au commandement de l’école spéciale de tir pour l’instruction des chasseurs à pied. » Promu, en février 1841, lieutenant-colonel au 24e de ligne, il partait, au mois de mars, pour faire sa deuxième campagne d’Afrique sous les ordres du général Bugeaud, auquel il écrivait, le 25 février 1841 :
    « Mon Général,
    « Le Roi m’ayant désigné pour remplir un emploi de mon grade vacant au 24e régiment de ligne, je vais me rendre en Afrique pour rejoindre mon corps, et j’y resterai longtemps, je l’espère.
    « J’ai tenu à vous dire moi-même, et le plus tôt possible, combien j’étais heureux et fier de servir sous les ordres d’un chef aussi distingué que vous, et que je ferai de mon mieux pour mériter votre estime, pour justifier l’honneur qui m’est fait.
    « Je vous prierai, mon Général, de ne m’épargner ni fatigues, ni quoi que ce soit ; je suis jeune et robuste, et, en vrai cadet de Gascogne, il faut que je gagne mes éperons ; je ne vous demande qu’une chose, c’est de ne pas oublier le régiment du Duc d’Aumale quand il y aura des coups à recevoir et à donner.
    « Agréez, mon Général, l’assurance de mon respect.
    HENRI D’ORLEANS.
    « Vous ne voulez pas être ménagé, mon Prince, — répondait le Général. — Je n’en eus jamais la pensée ; je vous ferai votre juste part de fatigues et de danger : vous saurez vous-même vous faire votre part de gloire. »