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querelleuse qui soit, et le compositeur ici n’eut que l’intention, morale mais obscure, d’exprimer, en l’égalant peut-être, la fatigue ou l’ennui qui résulte parfois des irrégulières amours.

La musique de M. Strauss, en elle-même, en tous ses élémens, pèche souvent par la profusion des détails, et tantôt par la surcharge, tantôt par l’éparpillement. Le défaut de ces longues symphonies, — et que leur longueur même accuse davantage, — c’est l’absence de l’unité souveraine, des vastes généralisations et des grands partis pris. Terriblement complexe, Ingénieuse et fouillée à l’excès, témoignant d’une maîtrise, d’une virtuosité d’orchestration qui jamais ne fut dépassée, cette musique produit d’innombrables effets plutôt qu’un effet unique ; elle se divise, elle s’émiette sans cesse, et trop rarement elle se rassemble. Un héros et ses ennemis, ses œuvres guerrières et pacifiques, ses combats au dehors comme au dedans de lui-même, sa mort enfin et son apothéose, une autre symphonie, que vous savez, a jadis résumé cette âme et ce destin en traits plus larges, plus libres et plus puissans. Rappelez-vous seulement la première phrase de l’Héroïque, les trois simples notes — celles de l’accord parfait — dont elle est formée, et tout ce qu’elles contiennent et promettent à la fois de volonté, d’énergie et d’audace. Il faut reconnaître néanmoins qu’en dépit de quelque boursouflure, la mélodie fondamentale (Urmelodie) du héros de M. Strauss a de la noblesse et de la fierté. Les antagonistes du héros m’ont paru le combattre moins par la violence et la fureur que par la malice et l’ironie. Dans une ancienne étude sur M. Richard Strauss, notre confrère M. Romain Rolland avait très justement signalé chez le musicien d’Allemagne le don de la joie et du rire : de la joie innocente, mais aussi de la joie mauvaise, du rire sain et généreux, mais plus souvent encore du rire méchant. C’est ici le rire amer, insolent, qui fait grimacer et pour ainsi dire se tordre, en petits traits à la Berlioz, les flûtes et les hautbois.

Quant à la « compagne, » une fois reconnue, elle ne saurait plus s’oublier, tant il y a de grâce chantante et noblement passionnée dans le pur adagio qui la représente. J’admire moins le champ de bataille. L’art ou le génie de l’instrumentation y est sans doute poussé jusqu’aux dernières limites, à celles dont il paraît incroyable aujourd’hui que demain elles puissent reculer encore. On s’étonne, et je veux bien qu’on s’émerveille ici de tout ce dont s’enrichit constamment le matériel ou la matière de la musique. On peut craindre seulement que cette matière ne convoite, que peut-être elle n’attente contre l’esprit