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Beethoven étant avant tout un lyrique, c’est de l’âme de Beethoven qu’elle était chargée. Nous possédons à cet égard des renseignemens précieux. On sait que Beethoven, en 1816, eut quelque velléité de publier une édition de ses œuvres avec une table non pas thématique, mais poétique des sujets traités. « Die poetiscke Idee ; » l’expression était familière au maître. Et cette idée, partout présente, mais quelquefois cachée, Beethoven aimait à la dégager, à la développer devant ses élèves ou ses amis. Schindler apprit ainsi de lui que deux principes se partagent la sonate pathétique et qu’on peut faire de la poésie (etwas poetisiren) à propos du trio en si bémol. Un jour que Schindler encore cherchait le sens ou le secret de la sonate en ré mineur et de l’Appassionata : « Lisez, lui fut-il répondu, la Tempête de Shakspeare. » Enfin, interrogé sur le largo de la sonate en (op. 10, n° 3), Beethoven affirmait que chacun y devait trouver « l’état d’une âme en proie à la mélancolie, avec diverses nuances de lumière et d’ombre. »

Ainsi Beethoven a proclamé le principe, essentiel en effet à la musique, de la représentation morale, et le germe de la musique à programme est contenu là. Mais hâtons-nous d’ajouter que ce principe à peine admis, Beethoven le limite aussitôt, « S’il faut des explications, dit-il, qu’elles se réduisent à la caractéristique générale des compositions. » Il intitule une sonate appassionata ou pathétique ; une autre, de noms déjà plus concrets, et plus extérieurs aussi : les Adieux, l’Absence, le Retour, Il qualifie d’héroïque et de pastorale deux de ses symphonies. Mais il n’en dit pas davantage et, sans aller jusqu’au programme, il se contente d’un mot.

Rien ne manque plus que cette concision à l’auteur de Zarathustra et de la Vie du Héros ; rien, sinon cette simplicité. Trop est trop. À force de vouloir expliquer les choses, le musicien les embrouille, et croyant nous diriger, il nous contraint, à moins qu’il ne nous égare. Ce que nous perdons en liberté, nous ne le regagnons point en certitude. Des indications plus détaillées ne font que nous induire en de plus faciles méprises, ou tout prévenus que nous sommes, ou plutôt parce que nous sommes trop prévenus, il nous arrive de prendre le Pirée pour un homme et de confondre les antagonistes avec la compagne du héros. On s’est demandé ce que venait faire et ce que voulait dire, au milieu du poème symphonique de M. Strauss, une sorte de concerto de violon, et s’il figurait les ennemis ou l’épouse. Ni l’une, a répondu le musicien, ni les autres, mais une maîtresse ; à coup sûr la plus aigre, la plus incommode, la plus