Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous puissions découvrir pourquoi nous croyons aujourd’hui, ou pourquoi nous avons douté hier.


Il a perdu la foi chrétienne, il a perdu aussi la foi en l’avenir de son pays ; lui qui naguère s’exaltait à l’idée de sa résurrection glorieuse, il en est réduit à reconnaître que la vieille Pologne est bien finie. « Le nom peut rester et s’appliquer à mille modifications, mais la chose n’est plus et ne reviendra plus. » La lettre où il fait ce triste aveu est datée non pas de Varsovie ou de Pétersbourg, mais de Cracovie, où le poète est allé saluer les tombes des héros nationaux.

Nous le retrouvons à Rome en décembre 1833. Il vient d’écrire son drame la Non divine comédie. Il essaye de l’expliquer à son ami. Je n’ai pas l’intention d’analyser ici l’œuvre littéraire de Krasinski, et je n’insiste pas.

Ce qui nous intéresse dans cette étude, c’est la personne et non l’œuvre du poète : une lettre sans date, mais écrite à Rome vers 1833, nous révèle les impressions que lui a fait éprouver le mariage d’Henriette Willan :


Amen ! Quand j’eus appris le mariage d’H…, je sentis un frisson dans ma poitrine, puis je tombai dans un sommeil fiévreux qui dura une demi-heure, et, quand j’en sortis, j’étais très nerveux et mes pensées s’égaraient. Cette disposition a continué jusqu’à aujourd’hui et je ne peux comprendre que H… soit mariée quoique, d’autre part, j’en rende grâces à Dieu et je le prie de la bénir dans sa nouvelle position. C’est étrange, ces vieilles amours qui dorment dans votre sein, puis tout à coup se réveillent, sans énergie, sans frénésie, mais pleines de langueur et d’amertume. Voilà au moins un drame dénoué, fini, accompli ! Amen !


Au fond, Krasinski aurait été cruellement gêné, si Henriette Willan était restée vieille fille et était venue lui rappeler, dans quelque étape de sa vie errante, les engagemens échangés naguère sur les bords du Léman. Le poète ne tarda pas à chercher et à trouver ailleurs de moins nobles consolations. Il s’en explique avec son ami, dans une lettre assez amphigourique, datée de Wiesbaden, 25 août 1834.


Étendu sur mon sofa, à Rome, je me morfondais en tristes pensées et je sentais tous les jours la vie me manquer de plus en plus, je ne pouvais plus écrire. Vers le printemps, il y eut un désir extrême de vie et d’action qui s’éveilla en moi. Pourtant il arriva que je rencontrai ce que je pressentais, dix jours avant mon départ de Rome. Alors, l’étincelle une fois jetée, la vue