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pouvoir à outrance, et on est arrivé à l’énerver dans tous les cas, parfois même à l’annihiler complètement. Dans les communes mixtes, le sectionnement a réduit le traitement de certains caïds à 3 et 400 francs à peine ; ils n’ont plus ni le goût ni les moyens de surveiller ce qui se passe sur leur territoire, et cependant ce sont là les vrais auxiliaires, les vrais agens d’information de nos fonctionnaires administratifs ou judiciaires[1].

Il y a quelques années, le comice agricole de Guelma a publié une petite brochure du plus haut intérêt[2], contenant la statistique des vols commis dans cette région : elle est navrante, surtout en ce qu’elle révèle l’impuissance de l’autorité française. Après son travail du jour, le colon doit passer une partie de ses nuits à veiller pour la garde de son troupeau ou de ses récoltes ; s’il ne le fait pas, les déprédations sont incessantes. Le vol du bétail donne d’ailleurs naissance à une sorte d’industrie que nous n’avons pas su réprimer et que la Cour d’Alger a en quelque sorte reconnue. Lorsqu’un vol a été commis, au bout de quelques jours, se présente un indigène qui offre au volé, moyennant une commission, de lui faire rendre son bétail ; dégagée de toutes ses modalités secondaires, telle est la becharra, qui est devenue une véritable institution, et impose au colon, obligé parfois de racheter deux ou trois fois de suite son troupeau, la plus lourde et la plus désagréable de toutes les contributions.

Cette situation met bien en évidence l’insuffisance de nos moyens de répression à l’égard des indigènes et la nécessité de modifier nos institutions pénales. Deux procédures extraordinaires ont été employées contre eux dans des circonstances graves ; nous voulons parler du séquestre et de la responsabilité collective. Le premier, appliqué après l’insurrection de 1871 et dans divers cas particuliers, a eu pour effet de faire payer aux indigènes une somme de près de 40 millions ; mais, comme bien des choses en Algérie, cette opération a été déplorablement

  1. « Le caïd, ainsi que l’écrit un ancien interprète indigène, n’a qu’à faire appel à ses propres serviteurs, à ses amis, et il obtient par son ascendant ce qu’il ne trouverait pas avec de l’argent. Il n’est pas jusqu’aux vieilles femmes et jusqu’aux bergers auxquels il ne sache, sans en avoir l’air, et comme l’on dit vulgairement, tirer les vers du nez. Un mouchoir de 50 centimes sera la récompense du naïf conteur, espion malgré lui ; mais, si l’administrateur montre un douro pour être servi de même, il ne saura rien, on se méfiera de lui, parce que c’est un Européen. »
  2. La Sécurité en Algérie, Guelma, 1890.