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propriété collective, et dans ces conditions, elle ne présente qu’un intérêt secondaire. Il faut donc que le gouvernement général se préoccupe de faciliter la création de grandes propriétés dans les régions qui, sous l’empire de la législation actuelle, leur sont à peu près fermées[1]. Ici son rôle serait tout différent de ce qu’il est en matière de colonisation officielle. Il devrait d’abord faire reconnaître le territoire où la colonisation libre serait autorisée ; il ne faut pas en effet que celle-ci arrive à déposséder une fraction de douar ou un douar entier, séduit par l’appât de l’or, de telle sorte que les indigènes soient, à bref délai, menacés de tomber dans la misère, la mendicité ou le brigandage.

Déterminer les territoires susceptibles de colonisation libre dans toute l’étendue de la colonie ; faire connaître, par une publicité large et bien entendue, ces parties colonisables et le mode de colonisation dont elles sont susceptibles : telle devrait être la première tâche de l’administration. Parallèlement à cette étude d’assez longue haleine, elle organiserait le mode d’acquisition des propriétés destinées à la colonisation libre. Il ne semble pas possible, en effet, de laisser des transactions de cette importance s’opérer entre Européens et indigènes par voie d’un simple acte notarié, qui ne garantit ni l’une ni l’autre des parties. Après s’être assuré sérieusement que le futur colon dispose d’un capital suffisant pour acquérir la terre, l’administration exproprierait par une procédure sommaire analogue à celle de l’expropriation pour cause d’utilité publique et présiderait à la distribution du prix aux ayans droit ; car il ne faut pas perdre de vue que, dans l’intérêt même des indigènes et dans celui de la colonie en général, on doit considérer l’Arabe comme un mineur et s’assurer qu’en aucun cas il n’est spolié. A la prise de possession, l’Etat, moyennant un droit à établir, remettrait au nouveau propriétaire un titre immatriculé sur les registres de la conservation de la propriété. Il pourrait d’ailleurs imposer telles conditions qu’il jugerait nécessaires pour s’assurer que ce mode d’acquisition de la propriété ne sert pas à couvrir des spéculations sur les terres appartenant aux indigènes.

L’histoire de la colonisation algérienne nous montre que, soit par un dessein prémédité, soit par la force des choses, certaines

  1. On ne peut considérer comme sérieuse la propriété individuelle telle qu’elle a été constituée par la loi de 1873, le parti le plus équitable à prendre vis-à-vis des indigènes serait de la considérer comme inexistante.