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navales assez nombreuses pour garder à la fois, avec le cap Finisterre sur la route directe de Passages, les Açores et les abords du détroit sur la route de Cadix.

Et, malheureusement, il n’était pas douteux qu’au cas d’une rencontre avec un ennemi supérieur, les galions ne fussent tous pris. Leur état de vétusté les rendait impropres à la prompte exécution d’une manœuvre, et leur pesanteur inhabiles à échapper par la fuite. Le vaisseau même de don Manuel, en faisant seulement les signaux de virer, s’était ouvert dans le flanc une large voie d’eau, occasionnée par l’ébranlement résultant, pour sa coque, du tir de quelques coups de canon.

Pourtant, ce fut sur le mauvais état de ces navires, affaiblis, disaient-ils, par une campagne de trois années et incapables d’en supporter la prolongation, que les Espagnols fondèrent particulièrement leur refus de se rallier au projet de l’amiral. Rappelant que plusieurs bâtimens s’étaient déjà égarés dans les brumes sans avoir pu rejoindre le gros du convoi, ils insistèrent sur le danger, en s’aventurant à de si hautes latitudes, d’y tomber dans des brouillards plus intenses et plus fréquens encore à l’approche de la mauvaise saison.

Interprète de la commune pensée de ses compatriotes et découvrant ainsi par quels intérêts mesquins ils se laissaient dominer, don Manuel de Velasco en arriva à conclure que le meilleur parti à prendre était de gagner quand même directement Cadix[1].

Il est permis de se demander si Château-Renault ne commit point une faute en consultant les marchands espagnols, ses subordonnés, et si, en ne passant point outre à son projet sans tenir compte de leurs objections, il ne fut pas plus coupable encore.

Tel n’est cependant pas notre avis. Les raisons que donne l’amiral pour expliquer sa conduite la justifient pleinement à nos yeux. « Je n’ai pas cru devoir user de mon pouvoir, dit-il, et les contraindre d’aller à La Rochelle. J’ai considéré qu’il était important de n’en point venir à ces extrémités et qu’il ne parût dans le public que le divorce s’était mis parmi les deux nations, la première fois qu’elles sont jointes ensemble[2]. » En outre, comme la plupart de ces commerçans s’étaient persuadé que,

  1. 6 septembre 1702. — Archives de la Marine.
  2. 27 septembre 1702. — Archives de la Marine.