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En présence de ces éventualités, l’amiral considérait comme le meilleur parti à prendre d’aller tout d’abord chercher les sondes d’Ouessant et de Belle-Ile, parages où aucun ennemi ne l’attendrait. Il lui serait ensuite aisé, s’il y trouvait bon vent, de gagner rapidement la côte de Biscaye. Dans le cas contraire, il profiterait de la permission, qu’il en avait reçue, de s’arrêter à La Rochelle, soit pour y débarquer, soit seulement pour y stationner momentanément.

Château-Renault sentait bien quelle serait pour lui la difficulté de rallier à son projet les Espagnols qui, ayant leurs ordres de route et de rendez-vous cachetés, semblaient déjà fort inquiets de se voir conduits plus au nord que de coutume. Ces marchands, pour la plupart ignorans du métier et absolument à la merci des pilotes, paraissaient uniquement occupés de leurs intérêts privés et peu disposés à les subordonner à d’autres intérêts d’un ordre plus élevé.

Don Manuel de Velasco lui-même ne se montrait pas animé d’un meilleur esprit, et, comme la cour de Madrid, en l’avisant confidentiellement de la marche assignée à la flotte, avait omis, par une inconcevable négligence, de lui faire connaître les diverses modifications susceptibles d’y être apportées, ce général déclarait hautement qu’il se laisserait mettre en pièces avant de rien changer à l’exécution de ses ordres.

Aussi Château-Renault hésitait encore à dévoiler son plan aux Espagnols quand la rencontre d’un bateau marchand, récemment sorti de La Rochelle, vint lui procurer une occasion des plus favorables pour tenter de les rallier à son sentiment. Le commandant de ce navire annonçait que la France se trouvait depuis peu en état de guerre avec l’Angleterre[1] et qu’une vingtaine de vaisseaux, appartenant à cette dernière puissance, croisaient à l’ouest du cap Finisterre.

La présence des ennemis, ainsi constatée sur le chemin même de Passages, permettait de supposer que la désignation de ce port, comme point de débarquement des galions, n’était plus un secret pour eux. Il devenait dès lors également dangereux et de pénétrer directement dans le golfe de Gascogne et de chercher à gagner l’Andalousie ; car la Grande-Bretagne disposait de forces

  1. Le roi Guillaume était mort le 19 mars 1702. Sa belle-sœur la reine Anne, lui ayant succédé sur le trône d’Angleterre, venait de déclarer la guerre à la France de concert avec l’Empereur et la Hollande.