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Lorsque Coëtlogon fut informé de cette décision, le mauvais temps lui interdisait de s’aventurer dans le golfe du Mexique pour aller chercher les galions à la Vera-Cruz, où il n’eût pu se procurer d’ailleurs ni la quantité de vivres nécessaires à assurer jusqu’au printemps la nourriture de ses équipages, ni les bois indispensables à l’entretien de ses vaisseaux. Les mêmes motifs lui défendant de demeurer plus longtemps à la Havane, il avait repris le chemin de la France.

Ce départ laissait la flotte espagnole exposée aux insultes de Bembow, dont l’escadre fortifiée par sa jonction avec celle de Whetstone était en mesure de bombarder la Vera-Cruz avant même que sa sortie de la Jamaïque ne fût connue au Fort-Royal.

Et pourtant, rien ne tient plus à cœur au Roi que la sauvegarde de ces galions. Une partie de leur chargement doit appartenir à des Français. Château-Renault le sait, et ce précepte : « qu’il est plus utile à un prince de voir entrer cent millions dans son royaume que d’en tirer deux cent mille de ses peuples[1], » ce précepte, tombé jadis en sa présence des lèvres de Colbert, lui revient à la pensée. Désormais le devoir n’est plus douteux : il se substituera à Coëtlogon et ramènera en Europe la flotte de Neuve-Espagne.

Cette résolution une fois prise, l’exécution s’en dessine non moins clairement dans son esprit : pendant qu’un bâtiment léger ira droit au Mexique informer le général de la flotte ainsi que le vice-roi de l’approche du secours attendu, il s’avancera lui-même avec son escadre jusqu’à la Havane, prêt à se porter ensuite avec trois ou quatre vaisseaux jusqu’à la Vera-Cruz, dont le port, déjà encombré de bâtimens, ne pourrait en recevoir davantage.

Mais, pour s’aventurer dans la golfe du Mexique, pour mener à bonne fin cette entreprise, où parfois il devra se comporter « en simple capitaine, » une flotte aussi nombreuse que celle dont il dispose ne lui est pas nécessaire. Douze vaisseaux, choisis parmi les plus impropres à naviguer dans ces mers, seront renvoyés en France, et de cette mesure résultera la possibilité d’augmenter la durée des vivres par un prélèvement sur les subsistances des équipages rapatriés.

L’amiral abandonnera le Merveilleux pour arborer son

  1. Château-Renault à Pontchartrain, 17 février 1702. — Archives de la Marine.