Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parti d’Angleterre sous l’escorte du contre-amiral Whetstone.

Outre que la durée du temps employé à la transmission de ces ordres rendait impossible la capture de Whetstone, dont la présence dans la mer des Antilles venait d’être signalée, l’entreprise contre la Barbade paraissait inexécutable. Défendue sous le vent par de solides retranchemens et inaccessible à tout débarquement du côté du vent, cette île recrutait parmi ses habitans une petite armée de cinq ou six mille blancs et d’un nombre à peu près égal de nègres, auxquels allaient s’ajouter les troupes que Whetstone y avait vraisemblablement déposées. Sur ses vaisseaux, Château-Renault ne disposait, pour une descente, que de deux mille soldats et de deux cents gardes de la marine. Il pouvait à la rigueur porter à trois mille le chiffre de ces combattans par la levée des milices de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Grenade, ainsi que par des prélèvemens sur la garnison de ces îles ; mais était-il permis de perdre les trois semaines exigées pour le rassemblement d’un si faible renfort, alors que chaque bâtiment ne possédait plus que pour quatre-vingt-trois journées de vivres ? En escomptant même un succès improbable, trouverait-on à la Barbade, après le pillage et l’incendie, de quoi assurer la subsistance des équipages jusqu’à leur retour en France ? Et, d’ailleurs, comment procéder à un débarquement avec une escadre qui manquait des chaloupes voulues pour porter les troupes à terre, et à laquelle le matériel de siège faisait également défaut ? Enfin, ne risquait-on pas de voir Bembow sortir de la Jamaïque accompagné de Whetstone, et venir prendre à revers les assaillans ?

Ainsi placé dans l’alternative ou de marcher à un échec ou de contrevenir à un ordre précis, Château-Renault connut alors ces cruelles angoisses trop souvent imposées au commandement par la volonté toute-puissante d’un ministre qui, ignorant des lieux comme des circonstances où se déroulent les événemens, se croit, du fond de son cabinet paisible, capable de les conduire.

Sentant sa responsabilité s’accroître en raison inverse de l’initiative qui lui était enlevée, l’amiral eut alors recours au moyen dont, en pareil cas, un chef sera toujours tenté de se servir. Il réunit un conseil, et, comme la plupart des officiers appelés à y siéger ne connaissaient point la Barbade, il jugea utile de leur adjoindre quelques personnes notables parmi les