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son autonomie et ses frontières. Pour lui, c’était la porte ouverte sur l’Océan ; la délivrance de la servitude danoise qui lui fermait les Belts, l’avenir de sa marine. À cette époque où la différence entre les ports militaires et les ports de commerce était moins tranchée qu’aujourd’hui, Emden pouvait remplir un rôle analogue à celui imparti à Wilhemshafen. Elle mettait les États du Grand Electeur en rapport direct avec les puissances occidentales ; elle lui permettait l’offensive en temps de guerre. Emden, en outre, lui ouvrait le chemin des Indes et de l’Afrique, où il avait trouvé le moyen de fonder des colonies et des comptoirs. Comme sa marine de combat et plus encore qu’elle peut-être, l’Electeur, toujours préoccupé de la Hollande, avait développé sa marine marchande. Ses négocians et ses commis voyageurs s’étaient répandus, faisant de la réclame aux produits allemands, sur la côte de Guinée aussi bien qu’aux extrémités de l’Asie. A l’intérieur, le creusement d’un grand canal avait facilité le transport des marchandises qu’on voulait amener, à peu de frais, jusqu’au point d’embarquement. Aider à la prospérité de l’industrie, chercher des débouchés au dehors, exploiter les continens neufs, répandre le nom de l’Allemagne dans le monde entier, s’assurer de bonnes bases d’opérations sur les routes stratégiques du globe, acquérir des territoires dans les pays encore barbares ; assurer la sécurité du commerce maritime par la constitution d’une flotte redoutable : c’était le rêve du Grand Electeur, c’était déjà, bien avant qu’il fût formulé, le programme de Guillaume II. La politique « mondiale » y tenait sa place. Mais l’heure de sa réalisation n’avait pas encore sonné.

Le traité de Saint-Germain, si cruel à beaucoup de points de vue pour le Grand Electeur, l’éloigna définitivement de la mer. Dès avant qu’il mourut, toute cette puissance navale, si péniblement édifiée, s’écroula. La flotte louée, puis achetée, disparut ; une école de cadets qu’il avait créée ferma ses portes ; la colonie africaine se trouva abandonnée ; les possessions de Tranquebar furent, faute d’argent pour les entretenir, vendues, pour 36 000 thalers, aux Anglais. Rien ne resta debout de cette œuvre grandiose qui, un moment, avait ébloui l’Europe. Rien ne devait en rester : elle était artificielle et factice. Une marine mercenaire, greffée pour ainsi dire sur une côte inhospitalière, ne pouvait pas vivre. Privée d’ingénieurs, d’arsenaux, même d’officiers de mer et de marins, elle n’avait aucun de ces éléments