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ont toujours vécu à part, jouissant d’une autonomie absolue. Ce sont les Hohenzollern qui, en dépit de la géographie, malgré la configuration du littoral qui les enfermait dans la Baltique, et ne leur ouvrait qu’une étroite porte sur la mer du Nord, sont parvenus, avec l’aide de la nation, contrainte de se passionner pour leur œuvre, à triompher de tous les obstacles et de la nature elle-même. Mais, il leur a fallu plus de deux siècles pour réaliser un projet paradoxal en apparence et qui, de l’aveu de tous, semblait irréalisable.

Les progrès récemment accomplis, l’invention de la vapeur et de l’électricité, ont permis bien des entreprises jadis jugées impossibles. La révolution industrielle, qui en a été la suite, n’aurait cependant pas suffi aux Hohenzollern pour accomplir leur dessein, s’ils n’étaient parvenus à recruter, dans leurs propres États, des officiers et des matelots. Quelle que soit la puissance des nouvelles machines de guerre, c’est toujours l’homme qui reste l’instrument le plus important de la lutte et le facteur principal de la victoire. Ni les canons à tir rapide, ni les torpilles, ni les cuirasses épaisses, ni tous les engins destructeurs qu’a imaginés la science moderne ne peuvent rien sans lui, sans sa fermeté et son héroïsme. Mais, pour que l’homme acquière toute sa valeur militaire, il faut qu’il soit imbu de l’esprit national ; qu’il combatte pour son pays, pour son foyer et pour les siens. La marine, comme l’armée, doit être une émanation directe de la patrie. Le plus grand obstacle qu’ait rencontré l’Allemagne à la création d’une flotte de guerre a été la nécessité où elle s’est trouvée de recourir, pour l’armement de ses vaisseaux, à des équipages mercenaires. Tantôt elle a demandé ses capitaines à la Hollande ; tantôt elle a cherché à les emprunter aux États-Unis. Aussi sa puissance navale, deux ou trois fois constituée, — au temps du Grand Electeur d’abord, en 1848 ensuite, — s’est-elle aussitôt évanouie. C’est seulement quand elle est parvenue à peupler de ses nationaux ses arsenaux et ses escadres qu’elle a pu fonder un établissement durable et prendre une large place sur les mers.

Les troupes mercenaires ont souvent joué un rôle important dans l’histoire : témoin les troupes suisses en France. Bien souvent aussi elles ont désespéré les généraux qui les commandaient : le Grand Frédéric, par exemple. Toujours il leur manque ce qui fait la force d’une marine ou d’une armée : l’amour du sol