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que vous connaissez. C’est aujourd’hui la fête de la Croix, je ne puis mieux faire que de me mettre au pied, afin que Jésus-Christ m’attire absolument à lui[1]. »

Sans doute on peut s’étonner qu’un jeune prince ne sente pas davantage l’humiliation de battre en retraite, à la tête d’une armée aussi forte, sans avoir tiré un coup de fusil ; mais il est impossible de ne pas rendre justice à l’élévation, au désintéressement des sentimens qui l’inspirent. Il oublie sa personne, peut-être trop ; il ne pense qu’au bien de l’État ; il ne s’inquiète point des discours ; l’approbation du Roi et celle de sa conscience, tout sévère qu’il soit pour lui-même, lui suffisent.

Veut-on savoir quels, sentimens, durant ces mêmes jours, occupaient l’âme de Vendôme, et quelles étaient ses préoccupa-lions ? Un minuscule incident va nous les faire connaître. Le 14 septembre, la veille du jour où l’armée commandée par lui allait se replier, il écrivait au Roi : « Je ne puis me dispenser de rendre compte à Vostre Majesté du petit incident qui est arrivé aujourd’hui : le régiment de Picardie, qui garde Mgr le Duc de Berry, avoit toujours battu aux champs pour moy et n’avoit fait que rappeler pour M. De Bcrwick. Il s’en est plaint apparemment à M. De Chamillart, lequel a, sur-le-champ, ordonné au régiment de Picardie de ne faire que rappeler pour moi. » Revenant ensuite sur les prérogatives que le Roi lui avait accordées et qui relevaient au-dessus des maréchaux de France, il terminait en disant : « Je supplie Vostre Majesté de me laisser jouir de cette petite distinction. C’est un cas qui peut-estre n’arrivera jamais. Il seroit triste pour moy de voir un pareil changement[2]. » Il fallut que le Roi, dans une lettre assez verte, lui fit sentir toute l’inconvenance de sa demande, car, d’après les règlemens militaires, les tambours ne devaient battre aux champs que pour les fils de France. « Je ne puis, répliquait-il à Vendôme, vous accorder des distinctions qui n’appartiennent qu’à mes enfans ; c’est la faute de ceux qui commandent le régiment de Picardie, et qui se sont trouvés à la teste de la garde du Duc de Berry, la première fois que l’on a battu aux champs pour vous, de n’avoir point su ce qu’ils devoient faire. » Et le vieux Roi ajoutait fièrement : « Ils ne seroient pas tombés dans ces inconvéniens dans les temps que je commandois mes armées

  1. Le Duc de Bourgogne, etc., p. 281.
  2. Dépôt de la Guerre, 2 083. Vendôme au Roi, 14 sept. 1708.