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qu’il désirait être attaqué : « Le terrain est tellement avantageux pour nous, écrivait-il le 3 septembre à Godolphin, qu’avec l’aide de Dieu, certainement nous les battrons, de sorte qu’il faut désirer qu’ils s’y hasardent, mais réellement je crois qu’ils ne le feront pas[1]. » Il est certain également qu’une défaite eût été désastreuse, car la France se serait trouvée ouverte, et que la retraite était plus prudente. Mais il est non moins vrai qu’à la guerre, le succès récompense quelquefois l’audace, et, à l’âge du Duc de Bourgogne, il semble qu’entre les conseils de l’audace et ceux de la prudence, c’est l’audace qui aurait dû l’emporter. Il n’en fut rien, et, fidèle à ses habitudes d’irrésolution docile, il en référa au Roi. Le lendemain, 6 septembre, un courrier partait, porteur d’im-portans messages. Dans une longue dépêche au Roi, Vendôme faisait valoir les raisons qui devaient, suivant lui, déterminer l’attaque, et il ajoutait : « Il s’en faut beaucoup que cette affaire soit impraticable… Cependant la plupart des officiers généraux ont jeté des doutes dans l’esprit de Mgr le Duc de Bourgogne, et c’est ce qui l’oblige d’envoyer ce courrier à Vostre Majesté. Depuis hier au soir, je l’ai trouvé tout à fait changé[2]. Cependant rien n’est plus préjudiciable aux intérêts de Vostre Majesté. Je ne puis m’empescher de luy dire que la plus grande partie des officiers généraux de celle armée ne se soucie point de perdre Lille ni de la gloire de Mgr le Duc de Bourgogne et des armées de Vostre Majesté. Ce que je vois me fait saigner le cœur. Cependant ce sont ces mesmes gens qui séduisent l’esprit de Mgr le Duc de Bourgogne et en qui il a toute confiance. » Dans une lettre particulière à Chamillart, il donnait cours plus librement encore à son irritation : « C’est une chose pitoyable, disait-il, de voir que la bonne volonté de cette armée devienne inutile par les conseils de M. De Berwick et de quelques officiers généraux, qui détruisent en un moment, dans l’esprit de Mgr le Duc de Bourgogne, tout ce que je puis lui inspirer, » et, déclarant qu’il n’y pouvait plus tenir, il allait jusqu’à prier Chamillart, au nom de l’amitié que celui-ci lui avait promise, de lui obtenir son congé du Roi.

Berwick, de son côté, dans une lettre à Chamillart qui se

  1. Coxe, t. IV, p. 229.
  2. Deux lignes dans le texte que Vendôme trouva sans doute, en les relisant, trop vives sont ici raturées et rendues soigneusement illisibles.