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contre la forte position qu’occupait l’armée entre Gond et Bruges, et qu’il ne se pouvait « rien de meilleur » que de tenir dans cette position. « Nous retrancherons les bords du canal, depuis Gand jusqu’à Bruges, écrivait-il au Roi, car il y a beaucoup de vraisemblance à croire que les ennemis n’ont d’autre dessein que de nous déposter d’icy pour reprendre ces deux villes qui leur sont d’une si grande conséquence. » Et dans une autre dépêche : « Nous n’avons rien à craindre que quelques courses dans le Cambrésis et dans l’Artois. Ce ne sont point des choses décisives, et le maréchal de Berwick mesme est en état de s’y opposer. Il n’est donc question que de tenir icy, jusqu’à ce que les ennemis aient repassé l’Escaut. » Il avait su faire partager ce sentiment par les officiers généraux placés, sous ses ordres. Le maréchal de Matignon, qui commandait en troisième, et qui, malade, devait bientôt quitter l’armée, écrivait à Chamillart : « L’intention des ennemis, par tous les mouvemens qu’ils ont faits, a esté de nous faire abandonner Gand et Bruges, mais j’espère que nous ne ferons point de fausses démarches. » Et d’Artagnan, que le Roi lui-même avait placé auprès du Duc de Bourgogne, en 1703, et qui devait, quatre années plus tard, contribuer si efficacement au succès de la bataille de Denain, écrivait le même jour : « Je crois la situation des ennemis bien plus mauvaise que la nôtre[1]. »

Il aurait fallu, on en conviendra, de la part l’un prince aussi jeune que le Duc de Bourgogne, un singulier coup d’œil militaire pour discerner que Vendôme et les autres s endormaient dans une sécurité trompeuse, et que l’inaction apparente des ennemis cachait, au contraire, des desseins et des préparatifs redoutables. Si, à la suite du désastre d’Oudenarde, il avait obtenu du Roi, comme lui-même le disait dans une lettre à Madame de Maintenon, « la voix décisive, » ce n’était qu’en cas de partage des généraux servant sous ses ordres[2] ; mais

  1. Dépôt de la Guerre, 2 081. Vendôme au Roi, 15 et 20 juillet 1708. Matignon et d’Artagnan à Chamillart, 20 juillet 1708.
  2. C’est dans une lettre publiée par l’abbé Millot dans les Mémoires politiques et militaires du maréchal de Noailles, t. IV, p. 327, et reproduite par le marquis de Vogué (le Duc de Bourgogne et le Duc de Beauvilliers, p. 239), que le Duc de Bourgogne remercie Mme de Maintenon d’avoir obtenu pour lui cette voix décisive. Mais il n’y a trace dans les dépêches adressées par Louis XIV à Vendôme et au Duc de Bourgogne d’aucun, changement dans leur situation respective. Ce fut sans doute dans une lettre particulière qui. n’a pas été versée, aux Archives que le Roi conféra au Duc de Bourgogne, dans les circonstances extrêmes, ce droit dont nous le verrons plus tard s’accuser de n’avoir pas fait assez souvent usage.