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Cyrénaïque. Biche du commerce avec le Soudan, de la récolte de ses fruits, de l’élevage de ses chevaux, si souvent vainqueurs dans les courses panhelléniques, et dont Pindare a célébré les hauts faits, fière de posséder seule le fameux sylphium, une plante médicinale qui passait pour une panacée universelle, et dont elle mettait l’image sur ses monnaies, Cyrène était la plus belle et la plus industrieuse des « cinq villes ; » elle fut la rivale de Carthage, puis, englobée dans une province romaine et réunie à la Crète, elle resta encore une cité importante jusqu’à la conquête musulmane. Aujourd’hui, les ruines de ses temples et de ses portiques jonchent le sol sur de vastes espaces, et les chèvres y broutent parmi les arcs des voûtes effondrées et les fûts gisans des colonnes de marbre.

Dans la stérilité de l’Afrique tripolitaine, la Cyrénaïque est une verdoyante exception : les géographes la définissent une oasis de montagne au bord de la mer, et les Arabes la nomment le Djebel Akhdar, la Montagne verte. Selon Hérodote, les anciens Libyens disaient qu’au-dessus de Cyrène, « le ciel est percé ; » il laisse couler, en effet, vers la terre altérée, d’abondantes pluies d’hiver, et, l’été, la rosée, ce bienfait inconnu aux steppes sahariennes, vient rafraîchir les plantes. On a comparé le plateau de Barka au Sahel d’Alger ; mais, au lieu d’être entouré par une Mitidja, il est resserré, comme une île, entre le désert et la mer ; il domine, de ses pentes rapides, des régions beaucoup plus basses : à l’Est, les terrasses de la Marmarique, qui ne dépassent pas 300 mètres, et, au Sud, la longue dépression du Barka-el-Beida (Barka-le-blanc), inférieure, par endroits, de 10 à 70 mètres, au niveau de la mer, et qui limite, comme un fossé, la forteresse du plateau.

C’est, semble-t-il, sur le « Plateau vert » que les légendes antiques plaçaient le fameux jardin des Hespérides. Tous les arbres fruitiers de la zone méditerranéenne s’y mêlent, en effet, aux palmiers et aux bananiers africains, et il suffirait de refaire les travaux d’irrigation que les anciens avaient exécutés avec un art si admirable, et dont on trouve partout les vestiges, pour obtenir des vergers splendides, des champs de roses, de safran, de céréales et de légumes. Le blé pousse très bien sur le « Plateau rouge[1] » et, malgré les procédés rudimentaires des

  1. Barka-el-Homra : ce sont les parties du plateau où un humus chargé de sels de fer recouvre le sol, lui donne une teinte rougeâtre, et augmente sa fertilité.