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elle-même, par sa position dans la Méditerranée et au seuil du continent noir ; comment se présente la « question tripolitaine » et dans quelle mesure elle intéresse notre situation de puissance africaine, c’est ce qu’il, peut sembler, actuellement, utile de rechercher.


I

S’il est vrai, comme de savans géographes le pensent, que l’un des grands cataclysmes qui, dans les temps très lointains, ont remanié la face de la terre, en creusant la dépression de la Méditerranée, ait bouleversé du même coup les conditions atmosphériques de l’Afrique du Nord et engendré la sécheresse et la désolation sahariennes, il faut reconnaître que la Mer intérieure est elle-même punie de ce « gigantesque méfait[1]. » Le désert vient plonger jusque dans les flots ses sables brûlans et frapper de stérilité de longues étendues de côtes ; parfois aussi, du fond des areg[2] lointains, des souffles étouffans s’élèvent et, attirés vers le Nord, s’abattent sur les eaux et sur les plages de la Méditerranée ; c’est le simoun, c’est le khamsyn, c’est, sous les divers noms que lui prête l’effroi des peuples riverains, le vent du désert, qui trouble de ses poussières impalpables l’azur limpide du ciel, aspire la sève des plantes, brise l’énergie des hommes.

Il me souvient d’avoir eu, un matin, en naviguant entre Malte et Syracuse, l’angoissante impression du voisinage tout proche de cette désolation, le sentiment très vif de cette menace perpétuelle du Sahara à la Méditerranée. Le soleil était déjà haut sur l’horizon, mais ses rayons ne parvenaient pas à percer les nuages qui couraient vers le Nord et où passaient comme des reflets d’un lointain incendie. Le ciel, la mer, les coteaux de la Sicile, apparaissaient noyés dans une sorte de brume rougeâtre ; l’air était suffocant, la chaleur lourde, et, malgré la faiblesse de la brise, une houle, que l’on sentait venue de très loin, balançait le bateau. Il pleuvait, non pas de l’eau, mais des gouttes de boue qui marbraient le pont de taches sanguinolentes. La direction du vent, et, en y regardant de près, la composition de cette boue, toute chargée de minuscules grains de sable, mettaient

  1. Voyez le livre, devenu classique, de M. H Schirmer, le Sahara (Hachette).
  2. Erg, au pluriel areg, désigne les grands espaces couverts de dunes de sable. La Hamada, au contraire, est le désert pierreux.