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quelques grands vautours perchés, ou bien encore des singes, assis en famille, qui regardent passer le monde, queue pendante, et qui rêvent… Les singes ont depuis des siècles envahi Agra, vivant à l’état libre sur les toits, comme les perruches ; certains quartiers en ruine leur sont même presque abandonnés et ils y règnent sans conteste, pillant les jardins ou les marchés d’alentour..

Ce palais d’Agra, de loin, c’est presque une montagne, construite en blocs de grès rouge et hérissée de créneaux féroces. ; Quand on regarde ces murailles couleur de sanguine, si lourdes et si emprisonnantes, on se demande comment la cour des fastueux empereurs pouvait trouver, derrière de tels remparts, un cadre à souhait pour le déploiement de son luxe fantastique. Cependant, si l’on contourne la rouge montagne du côté de la rivière, — du côté de la Iummah très sacrée qui coule dans son ombre, — on entrevoit comme des Alhambras en dentelle blanche, comme des palais de rêve léger, posés par-dessus cette forteresse de Titans et en contraste imprévu avec la massive austérité d’une pareille base : c’était là-haut que vivaient les Grands Mogols et leurs sultanes, dominant tout, presque dans l’air, inaccessibles et cachés au milieu de la blancheur et de la transparence des marbres purs.

On entre par des portes en ogive, des voûtes, des espèces de tunnels, à travers l’épaisseur des triples remparts ; on monte, on monte par des rampes grandioses, et toujours au milieu des grès d’une teinte sanglante.

Et puis, tout à coup, c’est la pâleur diaphane, la splendeur muette et blanche ; on est arrivé parmi les marbres. Tout est blanc, les dalles, les murs, les colonnes, les voûtes, les balustres ciselés au bord des terrasses qui regardent les profonds lointains ; seulement quelques fleurs çà et là, sur les parois immaculées, des fleurs en mosaïque d’agate et de porphyre, mais si fines, si sobres, si rares, que l’effet neigeux de ce palais n’en est pas altéré. Et, dans son abandon, dans son silence de désert, tout cela est aussi frais et aussi net que le jour où fut banni le dernier des empereurs : l’usure du temps n’a sur le marbre qu’une prise très lente ; ces choses exquises, de si frêle et si délicate apparence, sont par rapport à nous quasi éternelles.

Un mélancolique jardin a été aussi posé là-haut sur cette montagne factice, au cœur de la citadelle énorme et très fermée. De grands porches de marbre l’entourent, qui semblent des