Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/929

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enseignant qui aurait été comme une annexe de l’Encyclopédie ; les spécimens qu’il en a donnés sont aussi bien des modèles du genre ennuyeux. Alexandre Dumas fils, dans ses Préfaces, ne croit pouvoir échapper à la théorie de l’art pour l’art qu’en lui opposant la doctrine, aussi fausse, du théâtre utile. Par bonheur pour lui, ses pièces étaient déjà écrites et représentées depuis longtemps, et les préfaces qu’il y ajoutait ne pouvaient les gâter. Du jour où il se mit en tête de déverser à la scène le produit confus de ses méditations sur la nature et sur la société, il écrivit la Femme de Claude et l’Étrangère, quitte à s’apercevoir bientôt et à avouer qu’il s’était trompé. Cette erreur est celle où sont en train de s’enlizer deux auteurs, très inégaux par la valeur d’esprit, mais qui, l’un et l’autre, comptent parmi les auteurs dramatiques les plus considérables d’aujourd’hui.

M. François de Curel est l’un des écrivains les mieux pourvus des dons qui font l’auteur dramatique. Il a une sorte de vigueur brutale par laquelle il s’impose au public. Il aborde une situation avec franchise et la pousse avec emportement. Sa langue riche, imagée, abonde en trouvailles heureuses. Cela explique qu’on ait accueilli avec tant d’enthousiasme ses premiers ouvrages, qui plaisaient par leur élan, leur spontanéité, un je ne sais quoi de génial. Ou regrettait seulement que les situations y fussent trop exceptionnelles, le style trop lyrique, le dialogue trop fréquemment interrompu par les tirades et les morceaux. On souhaitait que le « génie » de l’auteur acceptât une discipline. Mais toute discipline répugnait à son individualisme farouche. Il n’écrivait que pour se donner satisfaction à lui-même, par manière de divertissement aristocratique, sans se soucier ni du public, où il y a trop de petites gens, ni de la critique, où il y a trop de professeurs. Les lois des genres n’étaient pas faites pour lui, et il ne relevait que de son caprice et de sa fantaisie. Pour mieux affirmer son indépendance et par une sorte de coquetterie il s’appliquait à verser du côté où l’on s’inquiétait de le voir pencher. C’est ainsi qu’après s’être, dans ses dernières pièces, écarté sans cesse des conditions de la représentation, il en est arrivé à écrire cette Fille sauvage qui est probablement le résultat d’une gageure de l’auteur avec lui-même, une œuvre de défi sinon de dépit.

On lui reprochait de choisir des cas un peu en dehors de l’ordre commun, et des données d’un artifice déconcertant. Il imagine cette fois que près d’une peuplade encore barbare vit une tribu de brutes pareilles à celles qui composaient l’humanité primitive. Des chasseurs ont capturé une de ces brutes, la « fille sauvage ; » l’explorateur Paul