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LES ORIGINES DE L’ODYSSÉE.

Pantakrator, cette sierra dentelée vient buter contre lui. Leurs masses confondues ne laisseraient aucun passage, n’était la brèche d’un torrent, qui dans la roche s’est taillé une porte monumentale. C’est par ce défilé, entre deux montans gigantesques de pierre fendue, que la route atteint la Mer Sauvage au fond de la baie de Liapadais : Nous franchissons ce défilé : nous entrons dans le pays des Phéaciens. Le voici devant nos yeux. La carte marine ne nous a pas trompés.

Les pentes de l’Arakli et du château Saint-Ange font à la baie une côte de fer, déchiquetée de roches. À mi-pente, à trois cents mètres au-dessus de la mer, l’Arakli porte une terrasse où se sont groupées les maisons du petit bourg de Lakonais : au bord de l’eau, la muraille abrupte est flanquée d’un talus, et sur ce talus la route en corniche serpente entre les olivettes. Le mont Saint-Ange, plus abrupt encore, plonge dans la mer sans fond. Son dôme se reconnaît au loin avec les ruines qui le couronnent. Voici le port Alipa et sa triple feuille de trèfle : de jolies plages de sables le festonnent tout autour. Dans la mer, en face de nous, se dresse la haute montagne semi insulaire qui ne tient à la côte que par l’isthme de sable entre les deux ports. Les cartes marines ne sont qu’en un point inexactes, et légèrement. Sur cet isthme, entre les deux ports, elles indiquent par des hachures assez fortes une colline allongée qui unirait les pentes de la montagne semi-insulaire aux dernières pentes de l’Arakli continental. Cette colline n’existe pas. L’isthme est plat, au ras de l’eau, sans une élévation, sans une bosse. De la plage sablonneuse de Port Alipa au fond sablonneux de San-Spiridione, il va tout uni, portant une petite plaine de blés et d’olivettes. Au-delà de San-Spiridione, il se poursuit encore jusqu’à la Mer Sauvage pour unir à la côte l’autre mont, semi-insulaire encore, de Palaio-Castrizza, si bien que le regard peut suivre celle enfilade d’isthmes bas depuis Port Alipa jusqu’à San-Spiridione, d’abord, et jusqu’à la Mer Sauvage, ensuite.

Port Alipa est le grand port. San-Spiridione est beaucoup plus petit. Mais derrière un goulet de roches, il a aussi de spacieuses pentes de sables, où toute une flottille primitive remiserait ses navires. Les moines du couvent de Palaio-Castrizza y ont leurs deux canots échoués. C’est leur seul mouillage. Car la plage foraine qui borde la Mer Sauvage est semée de roches et de cailloux, garnie, sur son front, de rocs et de récifs, déchirée, sur ses flancs, d’écueils et de falaises, et sans trêve la mer y pousse une houle gémissante. Sur ces pointes ou contre ces parois de fer, la moindre embarcation court le risque d’être éventrée ou broyée. Cette anse extérieure n’est pas un port. Le couvent de Palaio-Castrizza n’est pas entre deux beaux ports. Il n’occupe donc pas l’emplacement de la ville phéacienne. C’est Alipa et San-Spiridione qui sont les beaux ports et c’est la montagne entre eux qui dut porter la ville d’Alkinoos. La raide et petite butte de Palaio-Castrizza ne saurait d’ailleurs porter une ville : se » lianes abrupts, à grands renforts de terrasses, ont seulement quelques jardins et quelques oliviers ; au sommet aplani, le couvent et sa petite église n’ont pu trouver place qu’en débordant de toutes parts les lèvres du roc.

Nous avons contourné le fond de Port Alipa. Nous arrivons sur l’isthme qui s’étend entre les deux ports, au pied du mont des Phéaciens. La plainette de l’isthme a de 250 à 300 mètres de long, d’un port à l’autre, et de