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d’une action directe exercée sur l’organisme par un principe spirituel, distinct, hétérogène.

M. Chauffard n’est pas tombé dans ce défaut. Il a, conformément aux idées modernes, uni ce que les anciens philosophes et Stahl lui-même séparaient, l’activité de la matière et l’activité de l’âme. « La pensée, l’action, la fonction, dit-il, s’enlacent dans une invincible union. » C’est la doctrine classique — mais non pas claire — tant de fois reproduite : Homo factus est, anima vivens, que Bossuet a exprimée dans la formule célèbre : « L’âme et le corps forment un tout naturel. »


Une seconde objection adressée à l’animisme, c’est que l’âme agit avec conscience, réflexion, volonté, et que ces attributs essentiels ne se retrouvent point dans la plupart des phénomènes physiologiques qui sont automatiques, involontaires et inconsciens. L’opposition de ces caractères a conduit les vitalistes à leur conception du principe vital distinct de la pensée. M. Chauffard, d’accord ici avec MM. Bouillier et Tissot, et Stahl lui-même, n’accepte point cette distinction : il ne consent point à rompre l’unité du principe vivifiant et pensant. Il préfère attribuer à l’âme deux modes d’action : l’un qui s’exerce sur les actes de la pensée, où elle procède avec conscience, réflexion, volonté ; l’autre s’exerçant sur les phénomènes physiologiques qu’elle régit « par des impressions sans conscience, par des déterminations instinctives, suivant des lois primordiales[1]. » Cette âme-là n’est guère conséquente à sa définition : c’est une âme nouvelle, une âme somatique, singulièrement voisine de cette âme rachidienne qui, selon un physiologiste allemand bien connu, Pflüger, siège dans chaque rondelle de moelle épinière et préside aux mouvemens réflexes.

Cette double modalité de l’âme, cette dualité admise par Stahl et ses disciples, répugnait à l’école vitaliste. Elle lui paraissait une hérésie, entachée de matérialisme. Et elle l’était en effet. De là, la force et la faiblesse de l’animisme. Il admet un principe animateur unique pour toutes les manifestations de l’être vivant, pour les faits supérieurs de l’ordre de la pensée et pour les faits inférieurs, de l’ordre corporel : il abaisse la barrière qui les sépare ; il comble le fossé entre les diverses

  1. La Vie. Études et problèmes de biologie générale, 1878.