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— de faire un faux pas et de tomber au milieu du théâtre ; ils deviennent la risée des spectateurs ; le masque et le diadème sont brisés, la véritable tête du comédien ensanglantée, ses cuisses à nu en grande partie : on ne voit plus que ses misérables haillons et ses cothurnes tout difformes et nullement proportionnés à ses pieds. »

On s’est demandé comment la rigoureuse immobilité du masque s’accordait avec les différentes phases des passions analysées dans le drame, avec les alternatives effrayantes de bonheur ou de désespoir par lesquelles passait le personnage créé par le poète. Sans doute, ont répliqué les érudits, point de jeu de physionomie possible pour l’acteur ; mais aujourd’hui même peut-il rougir, pâlir, verser de vraies larmes, hérisser ses cheveux alors qu’il est censé faire tout cela aux yeux des spectateurs ? Il paraît démontré aussi que l’expression du masque semblait au public se modifier suivant son inclinaison et qu’un habile comédien savait mettre cette circonstance à profit[1]. L’acteur, en somme, ne changeait de masque dans le cours d’un même rôle qu’à la suite d’une mutilation du personnage (comme dans Œdipe) ou d’une de ces métamorphoses si chères à la mythologie.

Masque, accessoires, capitonnages, costume, cothurnes grandissaient et grossissaient l’histrion au point de le disproportionner absolument avec un homme non attifé pour la scène. Aussi on n’aurait pu mêler des acteurs à visage découvert à ces monstres, vraies statues animées, dont les plus petits dépassaient cinq pieds six pouces avec têtes et membres à l’avenant. Suétone cite un cas fort curieux en parlant des folies de Néron : quand l’empereur était las de jouer au théâtre des rôles d’héroïnes, sous un masque idéalisant ses favorites du jour, il représentait son propre personnage — non avec sa véritable face nue — mais coiffé d’un modelage simulant sa physionomie. Un autre détail sera mieux compris de nos lectrices : jamais à aucune époque et chez aucun peuple, femme de l’antiquité n’a subi l’épreuve d’enfouir sa tête sous un masque tragique.

  1. Remarque intéressante autant que paradoxale en apparence que nous avons extraite de l’ouvrage de M. Albert Lambert, Sur les planches. L’écrivain-acteur la formule à l’occasion d’une représentation rétrospective donnée à l’Opéra en 1886 et dans laquelle on joua, avec tous les accessoires du théâtre grec, une adaptation de l’Agamemnon d’Eschyle, traduit par M. de Bornier. M. Lambert figurait Clytemnestre sous le masque.