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du Trastévère. Nulle fissure, nul remplissage, nul artifice ; partout l’expression adhère à l’idée, et l’idée et l’expression sont du peuple. Rien ne saurait, chez nous, être rapproché de ces sonnets vivans et sans roideur, dont la régularité, loin d’entraver le développement naturel des phrases, semble au contraire le soutenir, et, loin de nuire à la variété des mouvemens, les dessine et en accuse mieux l’étonnante diversité. Quant aux vers, agiles, sonores et pleins, il faut, pour trouver quelque terme de comparaison qui permette d’en imaginer la vertu gaillarde et la plasticité, songer aux plus « gaulois » de nos classiques, à ceux qui ont le plus de verve et le plus de verdeur, à Régnier, à La Fontaine. Encore le vers français, si dramatique qu’il soit, ne se plie-t-il jamais impunément aux rapidités, aux brusqueries, aux interruptions du dialogue vulgaire. On ne se figure pas écrits en vers français les mimes véritables que Belli enferme dans un sonnet, ou développe en suites de deux, trois, quatre ou cinq sonnets, et parfois davantage. Le vers français est un tout dont les parties, les syllabes, n’ont de prix que dans leur mutuel rapport : la beauté en est organique. Le vers italien, à cause de la nature même de la langue, dont chaque mot chante, trouve pour ainsi dire sa raison d’être, ses élémens de vie et de beauté dans chacune de ses syllabes. Fractionner un vers français selon les exigences de la conversation, c’est le disloquer et le détruire. Les vers italiens résistent à ce traitement : ceux de Belli, tantôt répandus en larges ondes, tantôt lancés à coups pressés, à jets interrompus, hachés d’interjections et de cris, brisés par les questions et par les réponses brèves, par le dialogue saccadé d’interlocuteurs qui ne perdent point de temps en développemens littéraires et rythmiques, n’en conservent pas moins leur puissance musicale. Et, sans embarras, ils parcourent toutes les gammes, ils font tous les tours de force, ils passent de la grâce à la grossièreté, des sanglots aux sourires, ils disent tous les sentimens, ils s’adoucissent aussi aisément pour les sérénades et les complimens d’amour qu’ils s’aiguisent pour les épigrammes ou s’épaississent pour les injures.


Vièttene a la finestra, o ffaccia bbella,
Petto de latte, bbocca inzuccherata,
Ch’io tè la vojjo fà la serenata,
Tè la vojjo sonà la tarantella