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il en était un auquel il n’attachait, pour sa part, aucune importance, qui l’avait subitement jetée dans une véritable angoisse et la faisait trembler pour les jours de son ami. La preuve en est dans la lettre qui suit, en date du 2 septembre.

« Je vous en prie, pas de galanteries en mer. Que le Roi n’aille pas au-devant. La bonne grâce serait, quand elle approchera et lorsque son bâtiment sera en rade, c’est-à-dire en parfaite sûreté, que le Roi monte en bateau ouvert pour la recevoir. Il est clair qu’il faut un bateau dans tous les cas. Je ne connais pas votre Tréport, mais, s’il est fait comme d’autres ports, le bateau à vapeur n’arriverait pas jusqu’au bord. Il faut toujours se mettre en chaloupe pour aborder. C’est donc chaloupe que je voulais dire et encore j’ai bien envie de m’en dédire. Je ne suis pas le moins du monde de votre avis sur ces sortes d’entreprises. Là où il y a la plus petite chance d’un très grand malheur, il faut s’abstenir, traduction littérale d’un dicton anglais. Que le Roi reste chez lui. Et surtout, pour Dieu ! que vous y restiez. Je n’aime pas toutes ces aventures. Ah ! ce que je voudrais qu’elle fût déjà là ! Votre lettre me fera trembler jusqu’à demain, et puis je recommencerai. Vous me rendez très nervous par cette chance d’une promenade en mer. Si la reine n’est pas arrivée demain quand vous lirez ceci, suivez mon conseil : je vous en conjure, écoutez-moi ! »

Et, comme si ce n’était pas assez de cette supplication un peu puérile, Mme de Liéven y ajoute ce post-scriptum qui donne la mesure de ses alarmes

« Je me suis dit souvent que, dans la vie, on ne sait jamais de quoi on se réjouit, de quoi on s’afflige. Nous nous sommes si réjouis de l’arrivée de cette reine. Dieu sait s’il n’en sortira pas un malheur ! Je ne crois pas du tout à des accidens à Paris, c’est impossible. Ce que je crains, c’est vous, qui êtes un écervelé avec vos idées d’aller au-devant d’elle en mer. Je suis en grand train de brutalités, tant je suis en colère, inquiète, malheureuse. Je n’ai plus de Good Sense du tout.

« Je suis fort d’avis qu’il faut inviter la reine à venir à Paris, mais je ne vois pas pourquoi insister. D’ailleurs, par Aberdeen vous saurez bien si cela convient. Vous ferez la politesse, mais il doit bien savoir à l’avance s’il est bon que la reine l’accepte.

« N’allez pas en mer, n’y allez pas ! Je voudrais vous crier