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et cachée que l’imagination du poète communique aux choses en s’y mêlant lui-même ; dans cet universel animisme ou plutôt dans ce panthéisme qui est la philosophie d’Hugo ; et enfin il est dans ces inspirations : Pleine Mer, Plein Ciel, la Trompette du Jugement, que j’ai cru pouvoir qualifier d’ « apocalyptiques. »


Je vis dans la nuée un clairon monstrueux
...............
Il gisait, sur la bruine insondable qui tremble,
Hors du monde, au delà de tout ce qui ressemble
À la forme de quoi que ce soit…


Je m’arrêterai sur cette citation. Des œuvres qui ont suivi, de l’Ane, de Religions et Religion, des Quatre Vents de l’Esprit, de La dernière Gerbe, que j’énumère comme à l’aventure, je répéterais volontiers, en toute autre occasion, le mot de l’historien : Quae secuta sunt defleri magis quam narrari possunt ! Elles n’ajoutent rien à la gloire du grand poète, et on ne saurait assez admirer qu’elles n’en aient rien retranché. C’est qu’on l’y retrouve de loin en loin, et l’abondance de son invention verbale y fait quelquefois merveille. Mais, du reste, son évolution y apparaît terminée, ce qui n’est pas étonnant, s’il est alors plus que septuagénaire, et tout au plus pourrait-on dire que le rhéteur de ses débuts y reparaît. Le phénomène est ordinaire ; — et, chez les hommes en vue, les privilèges de la vieillesse ne leur servent souvent qu’à remettre en liberté les défauts qu’en d’autres temps le désir du succès, les intérêts de leur ambition, certaines convenances, et une volonté plus maîtresse d’elle-même avaient réussi à contenir. J’en dirais davantage à ce propos si je n’avais voulu, dans cette esquisse, me borner à parler de l’évolution littéraire d’Hugo.

Ni sur les Odes en effet ou sur les Orientales, ni sur Ruy Blas ou les Burgraves, ni sur les Misérables ou la Légende des siècles, je n’ai, — je le répète, — dans les pages qui précèdent, essayé de formuler un jugement ou d’exprimer une opinion personnelle : je me suis efforcé d’expliquer, non pas même comment et par quel lien logique, mais comment, en fait, et dans le temps, ou si l’on le veut encore, dans la carrière successive d’Hugo, toutes ses œuvres se rattachaient aux phases progressives d’une évolution continue. On a ici le moyen de les « situer. » Il est d’ailleurs bien évident, et à peine ai-je besoin de