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réclama la préséance en sa qualité de cardinal. Un long mémoire dans ce sens fut remis au Roi, bourré d’exemples accablans. Les cardinaux précèdent les princes du sang et autres princes, après lesquels le connétable et le chancelier prennent place et, à plus forte raison, le surintendant des finances. Celui-ci marchait de déboires en déboires. Déboires au sujet de la négociation si grave du mariage d’Angleterre ; déboires au sujet des affaires de Hollande. On lui fait dire le contraire de ce qu’il voudrait dire. On le mène, par des sentiers qu’il ne connaît pas, vers un but qu’il ignore ; il est toujours surpris, et en vient lui-même à supplier le cardinal de le ménager et de lui expliquer d’avance les avis donnés au Conseil, pour qu’il n’ait pas l’air trop balourd devant les autres.

Le cardinal promet avec candeur : « Il songeoit peu aux affaires publiques ; son esprit n’étoit occupé qu’aux moyens de se maintenir, et le pauvre homme prenoit des voies du tout capables de le perdre ; il prenoit jalousie de son ombre… » « Il étoit haï de toute la Cour ; on l’appeloit la Véronique de Judas, La polémique des pamphlets se faisait terrible. Celle de Fancan aiguisait toutes ses pointes : « On dit, Sire, que La Vieuville fait le maréchal d’Ancre, le Luynes et le Puisieux tout ensemble ; présumant tant de lui que de votre conseil, il entreprend de résoudre tout, se fâchant si les secrétaires rapporteurs ne concluent aux fins de cet unique sénateur. Il ne faut qu’un fou, dit le proverbe, pour troubler toute la fête. » On rapporte le mot du palefrenier qui reprochait à son compagnon de sangler son cheval tout de travers « comme la cervelle de La Vieuville… » « On veut persuader qu’il est habile homme mais personne n’y veut ajouter foi, non plus qu’aux nouvelles de l’arrivée de la flotte d’Espagne. Il est copieux en de telles conceptions ; mais sa tête ressemble à ces cavales des pays méridionaux qui ne conçoivent que du vent. »

Le beau-père, Beaumarchais, commence à prendre peur pour ses millions. Les grandes fortunes aiment le silence. Or, les voilà, lui et ses pareils, en plein tapage : « Il n’y a aujourd’hui financier qui ne vive en seigneur et en prince ; la plupart d’entre eux, pour s’exempter du gibet, étant alliés aux principales familles du royaume. N’est-ce pas chose horrible de voir un Jacquet épouser la nièce du duc de Mayenne ? la fille de Feydeau le comte du Lude ? celle de Beaumarchais le maréchal de Vitry ? celle de