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troupes alliées, russes, françaises, autrichiennes et suédoises. Souvent vainqueur, il eut cependant des revers ; c’est ainsi que, le 18 juin 1757, il avait été battu à Kollin par le maréchal autrichien Daun, malgré une défense désespérée de ses soldats, qui perdirent 25 000 hommes dans la journée. A cette première défaite succédèrent pour Frédéric les revers successifs de ses alliés et de ses généraux ; puis la capitulation du duc de Cumberland, qui, à Closterseven, le 8 septembre 1757, s’était rendu à Richelieu avec 35 000 Anglo-Hanovriens. Assombri par ces revers, entouré de toutes parts par ses ennemis, ne voyant aucun moyen de sortir d’une impasse où sa royauté semblait devoir être définitivement abattue, Frédéric avait résolu de se tuer ; mais, voulant mourir en poète autant qu’en roi, il avait adressé au marquis d’Argens une longue épître en vers[1], dans laquelle il annonçait ses intentions formelles de suicide. Il avait également envoyé cette épître à Voltaire, qui lui répondit aussitôt pour lui faire compliment des vers et pour l’engager à vivre. Sage conseil, que le Roi n’eut pas de peine à suivre et dont il se trouva bien, puisque, peu de temps après, il avait battu les alliés à Rosbach et, reprenant une nouvelle confiance en lui-même, avait tenu la campagne avec honneur. Depuis trois ans, il restait l’ennemi que les alliés ne pouvaient vaincre, malgré leurs forces imposantes et les généraux habiles qui les commandaient.

Tandis que le roi de Prusse, entremêlant les combats de distractions poétiques, luttait et versifiait sans relâche, Voltaire, tranquille à Ferney, à l’abri des vicissitudes politiques et loin du théâtre de la guerre, continuait ses multiples travaux. Il terminait alors le premier volume de son Histoire de Pierre Ier, à laquelle il travaillait depuis deux ans déjà et qu’il avait entreprise sur la demande de la Cour de Russie ; le comte Schouvalow, qui s’était mis en relations avec lui en 1757 pour l’engager à écrire cette histoire, lui fournissait les documens. Il venait d’achever aussi sa tragédie de Tancrède, et, toujours soigneux de ses intérêts, désirant l’appui de Mme de Pompadour et prêt aux courtisaneries qui pouvaient le lui faire obtenir, il avait jugé bon de parler à la Marquise de sa nouvelle pièce ; il lui en avait promis l’hommage et, le 23 juin 1759, il écrivait à d’Argental : « Elle (Mme de Pompadour) m’a répondu qu’elle attendait la pièce

  1. Datée d’Erfurt. 23 septembre 1757.