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leurs ravages, et, dans le corps du lecteur applaudi à St Kathrein commençaient à s’agiter sinon les diables entrevus par ses ennemis, du moins ce démon dont notre époque à singulièrement étendu l’empire, celui de la lettre imprimée. Oh ! voir sa prose s’étaler dans l’un de ces journaux qu’il connaissait surtout par les patrons de son maître, et par les enveloppes de paquets dérobées chez le maire commerçant. Quelle gloire pour lui-même et pour Alpel, son hameau natal ! — Et, certain dimanche de l’automne de 1864 (il avait alors vingt et un an passés), le tailleur s’assit, chez ses parens, à la table grossièrement équarrie de la salle commune, réunit quelques-uns de ses manuscrits, et écrivit d’une main tremblante une lettre explicative au directeur de la Grazer Tagespost, le journal libéral de Grätz, capitale de la Styrie.

En dédiant, vingt-cinq ans plus tard, son roman : Martin der Mann au docteur Svoboda, Rosegger rappelait en ces termes l’origine de leurs relations : « Cet envoi pouvait sembler ridicule et fou, car, pour cette ville et pour ce journal, le jeune montagnard était aussi étranger que s’il eût habité les déserts de l’Afrique. A peine il avait su mettre l’adresse sur sa lettre : à plus grand’peine encore il avait réuni les quelques deniers nécessaires à l’achat des timbres. Et, peu de jours après, il oubliait déjà cet acte de caprice. Soudain, malgré un retard causé par l’entière ignorance de la poste de Krieglach à l’égard du destinataire, un réponse vint de la capitale, et voici quel en était le contenu :


« Monsieur,

« J’ai lu vos poésies, et je trouve que vous possédez un véritable don, méritant une culture attentive. Je publierai plusieurs de vos poèmes, et j’attirerai sur vous l’attention du public. Mais, tout d’abord, il vous faut me confier, avec exactitude et sincérité, où et comment vous avez conçu l’idée d’écrire, car une école de village ne la fait pas naître ; et aussi quels vers vous avez lus, car on retrouve dans les vôtres quelques souvenirs de lectures. Envoyez-moi vos récits en prose, et donnez-moi exactement et sans ambiguïté votre adresse et votre occupation actuelles. Je ferai volontiers quelque chose pour vous : je vous procurerai par exemple des dons de livres, et je vous en offrirai moi-même quelques-uns. Ce que j’imprimerai de vous comportera des