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chez le jeune artisan. On recourait à lui plus que jamais pour rédiger des lettres bien senties, mais aussi pour créer des œuvres d’imagination plus relevées. Une charmante anecdote en fera foi, qu’il intitule avec une amusante ironie : « Mes premiers droits d’auteur. » Les Viennois commençaient alors à visiter l’été la vallée de la Muerz : et quelques habitans de Krieglach imaginèrent un jour de donner à ces citadins le spectacle d’un cortège nuptial villageois, avec les costumes les plus archaïques, espérant bien se voir récompenser par une quête fructueuse de leur reconstitution humoristique et de leur petite représentation en plein air. Ils s’adressèrent à Pierre pour composer une poésie de circonstance sur un vieil air montagnard et, tout étant disposé pour le mieux, on se rendit en corps devant le café élégant de l’endroit, où les étrangers s’étaient attablés assez nombreux devant leurs bocks de bière. Mais tous les efforts furent vains pour attirer l’attention de ces Messieurs blasés, jusqu’à ce qu’enfin le cortège rustique reçut de l’un d’entre eux une petite pièce de monnaie, avec la prière d’aller s’amuser ailleurs et de les laisser en paix. Tel fut, ce jour-là, l’effet inattendu de la poésie paysanne. Et Rosegger conserve, sans doute comme un talisman bien efficace contre l’amour-propre exagéré du littérateur, ce premier droit d’auteur accompagné jadis par un si utile avertissement de modestie.

Toutefois ses compatriotes avaient du moins montré dans cette circonstance leur estime pour le talent naissant du petit tailleur. C’est que sa renommée s’étendait avec le temps : il trouvait alors un public bénévole chez le maire d’un village voisin (Sankt Kathrein am Hauenstein), brave commerçant dont les enfans, à peu près du même âge que Pierre, avaient quelque teinte de culture, et savaient apprécier les essais qu’il leur dédiait à tour de rôle. Il possédait dès lors quelque expérience de la composition littéraire, si nous en jugeons par la liste imposante de ses écrits de jeunesse. Sa première entreprise importante avait été une vie de saint Joachim : n’ayant pas rencontré dans les sources peu abondantes, il est vrai, dont il disposait alors, de détails suffisans à son gré sur un aussi grand personnage que le père de la Vierge, il prit le parti de les inventer de toutes pièces, et créa de la sorte à son insu une légende hagiographique. Puis il avait écrit un livre de prêches. « Le chemin de l’Éternité, » et trois années de ce calendrier, « pour le temps