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chambrière, les notes mêmes que pour l’épouse l’hypocrite époux vient de soupirer. L’allusion, enfin, n’est-elle pas devenue l’un des élémens, et des plus féconds, de la musique, depuis que la musique est surtout symphonie ? Le rappel de motif, le leitmotiv même n’est guère autre chose au fond que l’allusion érigée en principe ou en système. Cent exemples empruntés à Wagner en rappelleraient la puissance ; un seul peut-être en montrerait la finesse et l’esprit : je veux parler du motif ridicule de Beckmesser et de sa course ou plutôt de sa fuite éperdue et pitoyable à travers le finale du second acte des Maîtres Chanteurs.

Ainsi que la parole abuse d’un mot, la musique sait abuser d’un son, le présenter dans un sens et le laisser entendre dans un autre. L’enharmonie consiste précisément dans le double emploi, dans l’usage à deux fins d’une même note ou d’une même forme commune à deux tonalités, c’est-à-dire à deux ordres différens. Dans une étude sur la Psychologie du calembour, nous avons lu naguère cette ingénieuse théorie de la modulation : « L’équivoque sur un son, sur une suite de sons, sur un accord ou une suite d’accords, est la base et la condition de la modulation. Nous retrouvons, doué d’une fécondité rare, ce procédé qui se fonde sur l’association de plusieurs systèmes d’idées (ici de représentations musicales) autour du même son, et qui consiste à passer de l’un à l’autre avec plus ou moins d’à-propos. La modulation est une sorte de jeu de sons analogue à un jeu de mots qui serait soumis aux lois d’une logique supérieure[1]. » Et sans doute le « jeu de sons » peut être charmant, ou sublime ; il arrive aussi qu’il soit comique, et que l’esprit, l’esprit seul, fasse la valeur et la beauté d’une modulation.

« L’art de réunir deux choses éloignées, » et par exemple deux notes extrêmes de la voix, donne la force comique à certaines intonations de Figaro, de Leporello, de Basile. Quant à la « recherche de ce qu’un objet ne présente pas d’abord, mais de ce qui est en effet dans lui, » ne serait-ce pas là précisément ce qui constitue la variation et même le développement ? La musique a mille manières de redire autrement ce qu’une première fois elle a dit. D’un thème ou d’une idée musicale, Beethoven arrache tout ce qu’elle enferme de passionné et de tragique ; Haydn et Mozart lui dérobent tout ce qu’elle a de grâce, de verve et de

  1. Voir l’article de M. Paulhan dans la Revue du 15 août 1897.