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Je cherche à savoir d’elle quel rang tiennent aujourd’hui les femmes dans la littérature russe :

— Beaucoup de talens, me répond-elle, mais aucun n’atteint très haut. La Russie n’a encore donné de rivale ni à George Sand, ni à George Eliot. Nous n’avons que des femmes de lettres de second rang : il est vrai qu’à ce rang, elles surpassent souvent les hommes de même catégorie. En tout cas, elles n’ont pas à se plaindre de leur sort : appréciées dans le monde, encouragées par le succès, et bien payées par les éditeurs.

Aucun préjugé n’existe contre elles, en effet. Et pourquoi en existerait-il ? Catherine la Grande leur a donné l’exemple. Cette amie de Voltaire et de Diderot n’excella que dans un art, celui de régner ; mais comme écrivain, elle aborda bravement tous les genres, contes, satires, comédies, opéras-comiques, drames historiques, en même temps qu’elle rédigeait des instructions pour le nouveau code. Ses critiques mordantes l’auraient fait certainement, si elle n’eût été impératrice, exiler en Sibérie.

La seconde femme de lettres russe fut la fameuse princesse Dachkoff, l’auteur des Mémoires, présidente de l’Académie des sciences, directrice de plusieurs journaux, créatrice des premiers cours publics. Aucune femme n’a joué un rôle aussi important dans la culture générale de son pays. Après elle, les poètes et les romanciers de son sexe furent de qualité médiocre, jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle. La comtesse Eudoxie Rostopchine, la comtesse Salias de Tournemire n’eurent guère que des grâces sentimentales et des prétentions pseudo-classiques. Les années 1850-1860 marquent une date mémorable dans la vie du pays, et l’œuvre de Marco Vastchok y correspond. C’est le pseudonyme de Marie Markovitch, la première dont les romans aient eu pour sujet le peuple. On y sent une idéalisation excessive du paysan, défaut qui fut celui de toute une catégorie d’écrivains en cette période de l’émancipation des serfs. Valentine Dmitrieff y échappa. Née elle-même dans une famille de paysans du gouvernement de Saratov, elle peint ce qu’elle voit ; c’est jusqu’ici la plus éminente, à beaucoup près, des romancières russes. De bonne heure, elle eut la passion des livres et se prépara elle-même à l’examen du gymnase. D’abord maîtresse d’école dans un village, elle dut quitter cet emploi à cause des tendances politiques qui lui étaient reprochées. Elle exerça ensuite la médecine. On l’exila pour les mêmes causes qui firent persécuter la