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Adieu, monsieur, veuillez agréer l’expression de tous mes sentimens dévoués.


Paris, 6 juillet 1859.

Cher Monsieur,

Je vous remercie beaucoup de votre aimable lettre. Elle m’a fort intéressé. Vous ne me faites pas regretter cependant de n’avoir pas visité le Nouveau Monde. Il paraît qu’il ne vaut pas mieux que l’ancien. Mais quelle est donc cette puissance extraordinaire d’assimilation dont jouissent les Yankees, pour convertir toutes les races ? Je pensais que leur charmant caractère ne pouvait se greffer que sur la race anglo-saxonne, et je vois que le vieux sang gaulois prend le virus avec non moins de facilité. Pourriez-vous me dire où va une grande nation ainsi dépourvue de toute espèce de préjugés : bonne foi, enthousiasme, honneur, morale ? Les gens pieux se consolent en pensant que le diable, qui n’a pas une sinécure, est chargé de mettre ordre à ce scandale. Pour moi, je me rappelle que les principes politiques en usage aux Etats-Unis ont été pratiqués avec succès par les Romains pendant plus de sept siècles, et je crains que l’Amérique ne soit pas engloutie par le feu céleste, de mon temps.

Vous m’étonnez en trouvant le type mongol dans vos sauvages. Je croyais que le nez proéminent des aborigènes américains les distinguait toujours des Kalmoucks. Est-il vrai que les Indiens aient les oreilles plantées plus haut que les Européens ? Dans les belles proportions grecques, le bout inférieur de l’oreille atteint une ligne horizontale passant par-dessous le nez. J’ai vu des dessins qui mettaient le bas des oreilles presque à la hauteur des yeux. Vous remarquerez que les Grecs, lorsqu’ils ont voulu donner un caractère bestial à leurs figures de barbares, ont représenté ainsi les oreilles attachées très haut.

Quelle langue parlent vos sauvages ? Je viens de lire, en ma qualité de membre de la commission pour le prix Volney, un volume épais d’un M. Buschmann, Berlinois, qui s’est appliqué à rechercher les traces de la langue aztèque chez toutes les peuplades de l’Amérique septentrionale. C’est un livre assez curieux, très mal fait, ce qui ne vous étonnera pas, étant d’un Allemand, mais pourtant l’auteur paraît raisonner assez juste et ne pas prendre des vessies pour des lanternes. Il a trouvé des traces non douteuses de l’aztèque dans toutes les langues de la Sonora,