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équivoques aussi dangereuses que celle de M. Pelletan, il faut bien le constater très haut, ne fût-ce que pour empêcher la récidive.

Au surplus, nous ne croyons pas qu’aucun journal ait été plus sévère pour M. le ministre de la Marine que M. le président du Conseil lui-même. Après le discours de Matha, M. Denys Cochin, qui avait annoncé l’intention d’interpeller M. Combes sur les harangues intempestives de ses collègues, a déclaré qu’il s’en abstiendrait, car il était désarmé. Qu’aurait-il pu dire, en effet, de plus fort que M. Combes ? « Une parole un peu sensationnelle échappe-t-elle, a dit M. le président du Conseil, des lèvres d’un ministre dans le feu d’une improvisation, dans la chaleur communicative d’un banquet, n’eût-elle dans l’esprit de celui qui l’a prononcée que la valeur d’un ornement littéraire, d’une figure de rhétorique, elle devient aussitôt pour les ennemis du cabinet la parole même du gouvernement. » On le voit, c’est à coups redoublés que M. Combes frappe sur le discours de M. Pelletan, et qu’il le réduit à rien. Il multiplie les expressions dédaigneuses. Il s’y acharne. M. Pelletan a parlé dans « la chaleur communicative d’un banquet. » Cette chaleur n’est pas tellement communicative que beaucoup d’autres ministres n’y aient pas échappé jusqu’ici : tous les orateurs de banquet ne parlent pas comme M. Pelletan. Mais quand M. Combes dit de ce dernier que ses paroles n’avaient peut-être, dans sa pensée, que « la valeur d’une expression littéraire, » il montre une connaissance et même une intuition assez fine du caractère de son ministre de la Marine. Il aurait pu s’arrêter à « ornement littéraire » et ne pas ajouter qu’il n’y avait sans doute là qu’une figure de rhétorique. » M. Pelletan sacrifie beaucoup à la phrase, c’est la vérité ; mais il a dû lui être cruel de s’entendre traiter de simple rhéteur, et cela par le président du Conseil lui-même. Après cette exécution en règle, que reste-t-il des discours d’Ajaccio et de Bizerte ? Rien, évidemment. Néanmoins, comme il faut prévoir l’avenir, et qu’avec les collègues qu’il a choisis on peut toujours s’attendre à quelques nouvelles frasques, M. Combes a jugé utile d’exposer toute une théorie sur l’éloquence ministérielle, en ajoutant qu’il l’empruntait à la tradition constante du régime parlementaire. « Le gouvernement, a-t-il déclaré, n’est jamais engagé par la déclaration individuelle d’un ministre : il ne l’est que par les déclarations du chef du gouvernement. C’est le chef du gouvernement seul qui est responsable devant les Chambres et devant le pays de la direction donnée à la politique, et c’est lui seul qui a qualité pour faire connaître cette direction. Chaque ministre, pris individuellement, n’a compétence et autorité que pour