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son père après avoir eu l’esprit traversé par la pensée qu’il pourrait bien la faire assassiner ; on racontait qu’il en avait été question à Blois : « Dans des rêveries mélancoliques, je songeais que Son Altesse royale… était fils d’une Médicis ; et même je pensais en moi-même que le venin des Médicis pouvait être venu en moi de me donner de telles pensées. » Son père allait l’accabler de tendresses après s’être laissé dire sans protester que Mademoiselle préparait un guet-apens pour « poignarder » l’un de ses gentilshommes. Pour leur temps, et pour leur famille, c’était simplement une situation un peu gênante. Mademoiselle, si peu « Médicis, » fit la route en proie à une douleur poignante, que les assistans purent lire sur son visage à son entrée dans le château de Blois : « En y arrivant, je sentis un grand saisissement… J’allai droit dans la chambre de Monsieur ; il me salua et me dit qu’il était bien aise de me voir. Je lui répondis que j’étais ravie d’avoir cet honneur. Il était embarrassé au dernier point. »

Ni l’un ni l’autre ne savait plus que dire. Mademoiselle renfonçait silencieusement ses larmes. Monsieur, pour se donner une contenance, caressait les levrettes de sa fille, La Reine et Madame Souris. Il reprit enfin : — « Allons chez Madame. » Elle me reçut fort civilement et me fit assez d’amitiés. Dès que je fus à ma chambre, Monsieur m’y vint voir et m’entretint tout comme si rien ne s’était passé. » Un quart d’heure lui avait suffi pour recouvrer sa liberté d’esprit, et il se mit en devoir de reconquérir sa fille. Elle n’avait jamais su lui tenir rigueur ; Monsieur comptait qu’il en serait de même cette fois. Il fut empressé, il la prit par ses faibles, petits et grands, l’amusa avec des projets de mariage et traita ses levrettes en personnages importans ; on le vit se rendre à minuit dans la basse-cour, parmi le fumier, pour prendre des nouvelles de « Madame Souris, » qui avait eu un accident. Il fit mieux encore : il écrivit à Mazarin pour le raccommoder avec Mademoiselle.

Depuis la rupture avec Condé, il était visible, à des signes qui ne trompent point, que l’heure du pardon approchait pour l’héroïne d’Orléans et de la porte Saint-Antoine. Au mois de juillet 1656, Mademoiselle avait dû se rendre aux eaux de Forges, en Normandie. Elle était passée en vue de Paris, avait séjourné dans la banlieue sans être inquiétée, et son nom, cette fois, n’avait pas « fait tout le monde malade. » Les visites