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ruiner l’autre ; qu’il faudrait nécessairement concilier les différends ; se connaître au lieu de s’espionner, se fréquenter au lieu de s’envahir, respecter chez autrui ce que l’on voulait qu’autrui respectât ; accorder le travailles métiers, les banques, au lieu de se battre à coups de blocus, de banqueroutes, de prohibitions, ou de monopoles comme, autrefois, à coups de séditions et à coups de prétendans, Écossais, Irlandais, Vendéens, Bourguignons et Stuarts ; tourner enfin la rivalité pour la suprématie commerciale ou politique, en concurrence d’idées et de travail pour la direction intellectuelle et l’approvisionnement du monde civilisé, des années d’expérience sanglante étaient encore nécessaires, et les préjugés ne se purent dissiper que par un épouvantable gaspillage d’hommes et d’argent. C’était un ordre de pensées aussi étranger à William Pitt et à Bonaparte qu’à l’immense majorité des hommes qui se mêlaient alors des affaires publiques, dans les deux pays. William Pitt comprit que l’Angleterre devait à l’Irlande le droit à la patrie, le droit à la foi, le droit à la justice, et en cela, il se montra le premier homme d’Etat de l’Angleterre contemporaine. Bonaparte comprit que la France sortie de la Révolution demeurait la France, et que la Révolution s’y devait organiser en gouvernement puissant et bienfaisant, donnant, au dehors, le prestige, au dedans la paix sociale et la paix religieuse, garantissant le travail national, et cette vue politique le fit empereur. Mais lorsque Bonaparte et William Pitt parlaient de paix et de commerce entre la France et l’Angleterre, c’était pour qu’elles se dominassent l’une l’autre par la paix et par les traités de commerce ; l’Anglais pour absorber le marché de la France et étouffer l’industrie française renaissante ; le Français pour fermer son marché aux produits anglais, forcer les manufactures anglaises à éteindre leurs feux et faire sauter les banques d’Angleterre.

La lutte finit, mais elle finit aux conditions posées par l’Ultimatum de 1803, aux conditions que, dès 1792, l’Angleterre avait décidé de faire prévaloir : la France refoulée dans ses anciennes limites, l’Angleterre établie à Malte ; plus de Français aux Pays-Bas, 1814 ; plus de Français en Égypte, 1810 ; la France substituant à la politique de suprématie continentale, la guerre d’équilibre, désintéressée, 1853, et le traité de commerce, enfin, 1860. Pour dériver et retenir, paisibles, derrière ces écluses, des eaux lourdes de tant de tempêtes, que d’efforts, que d’expériences il