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dont la modération a souvent désapprouvé les élans trop ambitieux du général, auraient voulu que l’on renonçât à Malte… « Et Lucchesini transcrit ces mots, qui viennent tout droit de Talleyrand, qui seront toute la raison de sa conduite à Erfurt et tout le fond de son apologie future ; parlant du plan de descente de Bonaparte : « Il serait aussi funeste à sa sûreté d’échouer, que fatal à celle de l’Europe de réussir. » Lucchesini conclut, s’adressant à un des prétendus amis de la République, celui, à coup sûr, qu’elle a le mieux payé, tandis qu’elle s’est fait payer l’alliance par les autres : « Le trésor public est dans l’impossibilité de faire les moindres avances. Les alliés de la France sont sans ressources, sans disposition et sans intérêt pour la secourir. Les Français sont haïs en Hollande. La Suisse n’est pas encore tranquille. » Bonaparte s’attire la guerre parce qu’il ne se contente pas d’être le premier sur le continent et le second sur mer. « Telle est l’opinion que portent sur l’affaire du moment les hommes qui ne laissent s’en imposer ni par les formes illégales que donne à sa conduite diplomatique le ministère anglais, ni par les récriminations irréfutables qu’y oppose le Gouvernement français. »

C’est donc, et de l’aveu des partisans mêmes des Anglais, une guerre préventive, une guerre comme celle qu’ils ont faite à Louis XV en 1755, et que Frédéric a engagée en 1756 contre la France et l’Autriche. Mais, forts de ces précédens qui leur ont rapporté la paix de Paris, en 1763, la vraie paix anglaise ; se sentant soutenus à Pétersbourg, à Berlin, à Vienne, à La Haye, même à Madrid, à Paris enfin par le gouvernement presque entier du Consul, par sa famille, par l’armée, par ce qu’ils croient l’opinion ; voyant Bonaparte blâmé, espionné, desservi sinon encore trahi, au sens propre du mot ; convaincus qu’un échec le perdra, que la guerre ébranlera son pouvoir si elle ne le renverse ; sûrs enfin que celle guerre leur procurera les bénéfices que la paix leur refuse, le monopole du commerce et la suprématie des mers, les Anglais poussent leurs sommations, et, puisqu’ils le croient facile, entreprennent d’intimider la France, d’humilier et de déconcerter Bonaparte.

Le 1er mai était le jour de la réception ordinaire des