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l’Egypte : « si j’avais senti la moindre inclination à m’en emparer par la force, je l’aurais fait, il y a un mois ; mais, tôt ou tard, l’Egypte appartiendra à la France, soit par la chute de l’empire ottoman, soit par quelque arrangement fait avec la Porte. » La France y conserve des intelligences ; c’est pour les entretenir qu’il y a envoyé Sébastiani, mission nécessaire à cause des obstacles que l’Angleterre apportait à la paix, c’est-à-dire après le refus d’évacuer Malte. Ces mots le conduisirent à parler de la guerre : une descente était le seul moyen de vaincre les Anglais ; mais comment croyait-on qu’arrivé à la hauteur où il était, il risquerait sa réputation, sa vie, dans une entreprise aussi hasardeuse ? Si on l’y pousse, toutefois, ce sera une guerre d’extermination, où la France entière le suivra. Il fit alors le tour du continent, montra l’Angleterre sans alliés, dépeignit l’Europe subjuguée par lui : l’empereur de Russie est très pacifique, l’Autriche ne compte plus ! « Il n’a tenu qu’à moi de coucher à Vienne dans le lit impérial ! » Il discourut, de la sorte, près de deux heures. A peine Whitworth put-il placer quelques répliques, mais très affirmatives. « J’ai cru, raconte-t-il, entendre plutôt un capitaine de dragons que le chef d’un des plus puissans États de l’Europe. »

Bonaparte, improvisant son rôle, avait dépassé le personnage qu’il voulait jouer. Talleyrand, en son commentaire, tâcha d’adoucir l’algarade. La dépêche qu’il écrivit à Andréossy, le jour même, n’en concluait pas moins à des propositions fort pressantes : évacuation de Malte et d’Alexandrie, expulsion de Georges, répression de la presse. Le lendemain, 20 février, le Moniteur inséra l’Acte de Médiation du Premier Consul entre les partis qui divisent la Suisse. Le recès, acte par lequel la Diète germanique consacrait le remaniement de l’Allemagne, était prêt et la signature n’en était plus qu’une formalité[1]. Ce même jour, 20 février, Bonaparte publia, sous forme de message adressé au Sénat et au Corps législatif, un exposé de la situation de la France. C’est la plus splendide revue politique que jamais chef d’État ait passée en Europe. Toutefois, pour célébrer la paix magnifique, il ne la présentait encore qu’à titre d’espérance. « Le gouvernement garantit à la nation la paix du continent, et il lui est permis d’espérer la paix maritime. » Il y fera tous les

  1. Il fut signé le 25 février 1803.