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symboles ; mais cela est devenu indéchiffrable, effacé très lentement par la paume des mains, ou par les pieds nus des gens qui passaient.

D’abord des salles, écrasées et étouffantes, où l’on psalmodie dans l’ombre. Plus haut un temple, vaste comme une cathédrale, avec une forêt de colonnes soutenant la poussée terrible des pierres d’au-dessus ; il est permis aux profanes d’y entrer, dans celui-là, à condition de ne pas s’avancer trop ; on ne voit pas où il finit ; des couloirs au fond, des grottes sculptées vont se perdre dans la nuit du rocher ; dans un coin, près d’un soupirail, des enfans brahmes étudient les livres saints, guidés par un vieillard tout couvert de poilaison blanche. Contre les voûtes sont remisés les prodigieux accessoires des défilés brahmaniques : personnages, chars, chevaux, éléphans, plus grands que nature, d’une conception étrange et minutieuse, en carton, en papier peint, en clinquant sur de frêles charpentes de bambou ; et, — la vie, ici, étant toujours enfiévrée de reproduction, — des tribus d’oiselets, hirondelles ou moineaux, ont trouvé le temps, entre deux défilés religieux, de remplir de nids les carcasses fantastiques ; cette confusion de monstres suspendus est toute animée d’un va-et-vient d’ailes, toute bruissante du pépiement des couvées, et la fiente de ce petit peuple léger tombe comme grêle sur les dalles.

Il faut monter encore ; avec ces demi-obscurités, et entre ces murailles polies qui le plus souvent sont d’un seul morceau, on se croirait dans des catacombes ; mais tout à coup, par quelque soupirail qui vous inonde d’un jet de soleil, on aperçoit comme en planant des lointains de palmiers et de pagodes : on est très haut dans l’air. Il y a aussi des blocs rapportés, énormes comme aux époques mégalithiques ; ils sont jetés les uns sur les autres, disjoints, pas d’aplomb ; mais tout cela tient par l’excès même de sa masse, tout cela est presque éternel.

On croise à chaque pas des brahmes, superbes de formes et de regard, le torse barbouillé de raies de cendre, en l’honneur de Shiva, dieu de la mort ; ils descendent ou remontent, s’empressent à des arrangemens pour la fête de demain, disparaissent par des trous dans les couloirs interdits, apportant des vases en cuivre remplis d’eau, ou des guirlandes de fleurs pour les dieux que je ne dois pas voir.

Encore un autre temple ; mais, dans celui-là, on n’entre pas,