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son âme et la vérité de sa pensée, jamais Mlle de Montpensier n’avait été plus éloignée de comprendre l’amour, jamais elle ne lui avait refusé plus énergiquement toute beauté et toute grandeur. L’une de ses dames, la gracieuse Frontenac aux yeux « remplis de lumière, » avait fait un mariage d’inclination, chose absurde, chose basse et honteuse, au jugement de sa maîtresse. Le ménage alla mal. M. de Frontenac était un bizarre. Sa jeune femme le prit en crainte, puis en aversion, et il se passa entre eux, à Saint-Fargeau, des scènes tragi-comiques que personne ne put ignorer. Mademoiselle venait justement de commencer ses Mémoires[1]. Elle s’empressa d’y conter les querelles conjugales de M. et Mme de Frontenac, avec plus de détails qu’il ne serait à propos d’en donner ici, et ce lui fut une occasion d’éclater contre les insensés qui essaient de fonder le mariage sur la plus fugitive des passions humaines : — « J’avais toujours eu une grande aversion pour l’amour, même pour celui qui allait au légitime, tant cette passion me paraissait indigne d’une âme bien faite ! Mais je m’y confirmai encore davantage, et je compris bien que la raison ne suit guère les choses faites par passion ; et que la passion cesse vite, qui n’est jamais de longue durée. L’on est fort malheureux le reste de ses jours, quand c’est pour une action de cette durée où elle engage comme le mariage, et l’on est bien heureux, quand l’on veut se marier, que ce soit par raison, et par toutes les considérations imaginables, même quand l’aversion y serait ; car je crois que l’on s’en aime davantage après. »

Le principe peut être sage ; mais la Grande Mademoiselle est pourtant par trop sûre de son fait. Ce « même quand l’aversion y serait » est cruel à digérer. La princesse marchait vers la trentaine quand elle traitait l’amour avec ce mépris, et rien ne l’avait encore avertie de l’imprudence de défier la nature ; aussi se croyait-elle bien à l’abri. Au printemps de 1653, le bruit avait couru qu’elle et M. le Prince s’étaient promis le mariage, dans l’attente et dans l’espoir d’être bientôt débarrassés de la Princesse de Condé, toujours malade ; et que l’imagination de Mademoiselle, à défaut de son cœur, la pressait « furieusement » dans cette affaire. Les salons parisiens n’avaient pas trouvé d’autre explication à l’attitude hostile qu’elle s’obstinait à conserver

  1. Mademoiselle avait commencé ses Mémoires peu de temps après son arrivée à Saint-Fargeau. Elle les interrompit en 1660, les reprit en 1677, et ne les abandonna définitivement qu’en 1688, cinq ans avant sa mort.