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par sa femme, par son beau-fils qui l’aimait comme un père, par ses amis, éprouvaient quelque défaillance. Il céda à l’avis de ses médecins et, emmenant avec lui sa famille, sa vieille mère, il s’embarqua pour New-York.

Il avait d’abord songé à un séjour dans l’État de Colorado ; ses amis de New- York l’en dissuadèrent à cause de la longueur du voyage. Il fixa, alors, sa résidence pour sept mois dans les monts Adirondack, célèbres par l’air salubre qu’on y respire, non loin du lac Saranac. De sa maison, située sur une colline, on avait vue sur la vallée, arrosée par une rivière qui se jette dans le lac. Sa santé s’était notablement fortifiée ; il put donc beaucoup travailler : c’est là qu’il composa la plus grande partie du Maître de Ballantrae et son « Sermon de Noël. » En effet, ses épreuves de santé, des deuils répétés dans sa famille, ramenaient de plus en plus sa pensée vers le christianisme. C’est de Saranac que notre auteur a écrit à un vieil ami de son père, consulté au sujet d’une biographie de Thomas Stevenson, ces lignes sur le rôle de la religion :

« Étant donné que la vie est tragique jusqu’à la moelle, l’office propre de la religion est de nous la faire accepter et de nous faire servir dans cette tragédie, comme font des soldats dans cette autre tragédie qu’est la guerre. J’entends par là un service actif, — au sens militaire du mot, et l’homme vraiment pieux est celui qui fait son service avec une joie militaire, — et non pas celui qui passe son temps à pleurer sur les blessures[1]. »

Cependant, Stevenson, stimulé à la fois par son goût naturel et par une certaine inquiétude morbide, rêvait d’un nouveau voyage sur mer. Au printemps de 1875, il avait rencontré en Angleterre M. J. Seed, secrétaire du département de la Marine et des Douanes de la Nouvelle-Zélande, qui lui avait fait une description séduisante des îles de la Polynésie : ce fut de ce côté qu’il se dirigea. Le 28 juin 1888, Stevenson s’embarqua avec sa famille à bord du yacht Casco, qu’il avait frété soi-disant pour une excursion de quelques mois. Il fit escale d’abord à Nouka-Hiva (Îles Marquises) et il a donné des détails instructifs sur les habitans et leurs mœurs. La race des habitans des lies Marquises est peut-être la plus belle de toute la Polynésie ; la taille moyenne des hommes est de six pieds ; ils sont fortement musclés, rapides

  1. Lettre au Révérend Charteris, printemps de 1888.