Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même mise en scène. Quand il a réalisé un type, Memlinc n’hésite jamais à le reproduire ; n’est-ce pas d’ailleurs une obligation fatale pour les peintres religieux et qui leur est imposée Dar l’admiration même de leur pieuse clientèle ? Son élégante sainte Catherine et son tendre saint Jean furent vite à la mode, autant qu’avaient pu l’être les Madeleines sanglotantes de Roger de la Pasture et les Vierges attentives de Van der Goes. On les lui redemandait sans cesse, toujours les mêmes, comme, en Italie, des Vierges de pitié et des saint Sébastien à Pérugin. Néanmoins, s’il se répète, le Flamand se répète rarement mot à mot ; il ajoute toujours quelque agrément délicat à sa formule. Dans ce retable de l’hôpital, par exemple, sans parler de l’exécution générale bien plus ferme, libre, pleine, colorée, combien la vie des figures devient plus personnelle ! La sainte Catherine, naguère encore pensionnaire un peu gauche, hésitante et mal fagotée, s’est changée en femme mûre, pensive et fatiguée, d’allure noble, assise dans l’étalage somptueux d’une jupe de brocard et d’une traîne de fourrures avec l’aisance d’une grande dame. Même diversité chez les autres acteurs. L’Adoration des Mages, achevée la même année, avec les volets de la Nativité et de la Présentation, est d’une facture plus serrée et plus riche encore. On y saisit de bien curieuses adaptations et des emprunts non dissimulés d’après Van der Weyden et Van der Goes. La transposition s’opère simplement par l’expression plus douce et l’exécution plus souple. L’admirable saint Christophe entre saint Benoît et saint Egidius modifie, avec plus d’originalité, le géant massif de Van Eyck, dans le sens des douceurs propres à l’artiste ; la solennité majestueuse du paysage montagneux s’y joint à la saveur plus chaude du coloris pour en faire un chef-d’œuvre. Dans la Vierge de Martin Van Nieuwenhove et dans le Portrait du Donateur (1487), l’une de teintes si fraîches et si claires, en miniature agrandie, l’autre de nuances si rares et si finement modelé, tous deux d’un grand style, merveilleusement calme avec des fonds de vitraux entr’ouverts sur la campagne d’une poésie bien locale, Memlinc résume, oppose et accorde à la fois, avec une maestria souveraine, ce qu’il tient des Flandres, pour la vérité, ce qu’il tient de l’Italie, pour la beauté. C’est à ce moment aussi qu’il condense, sur la Châsse de sainte Ursule (1489), cette science consommée du miniaturiste et du compositeur dont il avait déjà donné les preuves dans les scènes