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en faisant saluer la Vierge par saint Georges dans le retable du chanoine. Mais, chez Memlinc, ces cercles de jeunes damoiselles, assises en rond sur des tapis d’Orient, en des palais sculptés ou sur des pelouses verdoyantes, à l’ombre des futaies, deviennent de plus en plus amicales et mondaines. Dans ce premier tableau de 1468, se montre déjà sainte Catherine, la vierge lettrée et mystique, dont l’image, souvent rêvée par le peintre, lui apparaîtra de plus en plus tendre et délicate, et chaque fois aussi parée de nouveaux et de plus merveilleux habits. Elle présente en souriant le seigneur anglais à la Madone, tandis que sa compagne, Barbe, présente la dame et sa fille, aux doux sons d’un orgue portatif que touche un ange en robe blanche, à la gauche du trône. De l’autre côté, un autre ange, en dalmatique de brocard, offre, en riant, une pomme au petit Jésus, qui lâche le livre où il apprenait l’alphabet pour tendre la main vers le beau fruit. La Vierge, en dame de bonne compagnie, silencieuse, écoute, regarde, protège, d’un air très doux. Les deux saintes, un peu novices encore, engoncées et roides, la madone, au visage un peu long et un peu froid, se ressentent de Van der Weyden ou de Van der Goes. Déjà, pourtant, ce sont d’autres personnes, plus aimables et plus fines, exhalant comme un parfum d’affabilité délicate et de grâce rêveuse très particulières. Déjà, aussi, dans les deux volets, saint Jean-Baptiste et saint Jean l’Evangéliste ont pris ce caractère de douceur dans le type et dans le geste, dans la couleur et dans l’éclairage, si différent des formules réalistes antérieures, et dont l’école brugeoise ne se départira plus guère. L’un des meilleurs morceaux du tableau, le plus ferme du moins et le plus accentué, est le portrait du donateur. En d’autres parties, on sent trop encore la main du miniaturiste, un peu hésitante lorsqu’elle agrandit les figures. Dans le seigneur agenouillé, au contraire, la touche est vive et ferme, celle d’un franc dessinateur et d’un vrai peintre.

Comment s’en étonner, si l’on regarde, à deux pas, le portrait de Niccolo Spinelli, le médailleur florentin au service de Charles le Téméraire, plus tard établi à Lyon, et celui d’un Donateur inconnu (musée de La Haye), qui doivent être à peu près contemporains ? Tous les deux, comme bien d’autres, ont été attribués à Antonello de Messine ; et, n’était la finesse calme et franche du regard particulier à Memlinc ; son modelé plus attendri, ses paysages plus détaillés, c’est, en effet, la même décision