Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’à Birkadem, jusqu’au Jardin d’essai et au calé du Plateau, pillant, massacrant, enlevant les troupeaux. Des cavaliers de l’émir poursuivirent des chasseurs d’Afrique jusqu’aux portes d’Alger sous les yeux de la garnison qui demeura immobile. L’épouvante régnait à Alger, et le maréchal Valée fit déménager ses meubles de Mustapha. Dans le Sahel comme dans la Mitidja, les établissemens agricoles furent saccagés et brûlés, les colons massacrés, les petits détachemens et convois enlevés. Seules, les fermes qui étaient sous le canon d’Alger et des postes sur la ligne avancée où l’on avait maintenu une garnison purent être épargnées. Mais leurs propriétaires n’en furent guère plus heureux.

Les soldats s’étaient installés dans leurs fermes, et l’on sait que le respect de la propriété n’est pas la grande préoccupation des troupes en campagne, surtout quand elles expéditionnent hors d’Europe. Pour avoir du bois, les soldats ne se faisaient pas faute de couper les haies et les arbres fruitiers. A la ferme modèle, où l’on avait établi un poste, le fermier était journellement et sans succès aux prises avec eux pour les empêcher de couper les orangers et les jeunes arbres plantés depuis la conquête. Les maisons n’étaient pas non plus épargnées. Un jour, un colon de Boufarik, dont la femme et les enfans gisaient gravement malades dans sa maison et qui avait été obligé de s’absenter un moment, ne trouvait plus, en rentrant chez lui, ni portes ni fenêtres ; les soldats les avaient enlevées. N’ayant plus aucun moyen de clore sa maison et craignant que l’intempérie de la nuit n’achevât l’agonie de sa malheureuse famille, il alla, le désespoir dans l’âme, trouver le colonel, lui demandant s’il ne valait pas mieux mourir que de vivre dans des conditions pareilles, et le colonel ému lui donnait une petite somme d’argent, mais lui disait que, vu la fréquence d’actes de ce genre, il ne pouvait guère sévir et l’exhortait à la résignation.

D’ailleurs, réfugiés des villes ou rares colons ayant pu rester sur leurs terres sous le canon des forts n’en eurent pas moins également à endurer de dures épreuves de la part de l’autorité militaire et à souffrir des mesures de l’administration. On admettait bien qu’ils eussent perdu leurs terres, mais non qu’ils pussent se soustraire aux charges que l’on jugeait bon de leur imposer, et les uns et les autres lurent maintenus dans une même sujétion. Le 19 mars 1841, un arrêté du général Bugeaud ayant mis toute l’Algérie en état de siège, tous les colons servant dans