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souffrante, elle se tiendra pour opprimée et restera profondément agitée, mécontente ; s’il lui concède beaucoup, elle usera de ce qui lui aura été donné pour reconquérir ce qui lui manquera encore. Les traités de 1815 ont placé sous le même sceptre des hommes connaissant la liberté et la voulant, et des hommes qui l’ignoraient et ne la désiraient pas encore ; ils ont mis tout un peuple dans la nécessité de s’insurger si les concessions promises étaient faibles, et, si elles étaient larges, d’en tirer parti pour s’insurger encore. » Il fallait modifier profondément cet état. Or, il n’y avait qu’une manière de le modifier : rétablir l’ancienne Pologne. C’est la solution du prince Napoléon. Comme le prince, Billault jette imprudemment la pierre aux gouvernemens précédrns, « à cette politique de beaucoup de paroles et de très peu d’action, excitante pour le malheureux peuple qu’elle ramène toujours à l’espérance, irritante pour son souverain qui ne supporte pas les représentations, et impuissante à obtenir quoi que ce soit. » Si on ne veut ni des phrases ni de la guerre, que fera-t-on ? Ici Billault découvre la combinaison qui se prépare. « On fera, dit-il, l’action collective avec les puissances. » La politique constante de l’Empereur avait été de n’agir jamais seul, de rechercher les puissances ayant des intérêts similaires à ceux de la France et de ne s’engager qu’avec elles. La seule affaire dans laquelle il fut resté seul, l’affaire du Mexique, n’avait été entamée qu’avec le concours de l’Espagne et de l’Angleterre. Il voulait plus que jamais se conformer à cette règle de conduite ; ne pas prendre le fardeau à soi tout seul. La question polonaise était européenne et c’est avec le concours de l’Europe qu’il entendait la résoudre. Mais l’action collective serait fatalement la politique de beaucoup de paroles et de peu d’actes si, en cas d’échec, l’on ne voulait pas se résoudre à une guerre isolée ; ce serait la reculade au milieu de la risée publique. Billault, sentant l’objection, reprenait l’espérance de Montalembert : « Le Tsar ne résisterait pas à la pression morale de l’Europe à laquelle se joindraient les inspirations magnanimes de son cœur. » Et il insinuait, sans le dire, que l’Angleterre serait, comme lors de la guerre de Crimée, entraînée plus loin qu’elle n’avait projeté. Etant données les dispositions du Tsar et de Gortschacof, de Palmerston et de Russell, de Bismarck et de Rechberg, sur lesquelles il n’était pas permis de se méprendre, ce programme était moins compromettant que celui du prince Napoléon, mais plus chimérique.