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croire ; et même il lui est arrivé cette chance heureuse, qu’elle en a tiré parfois quelque profit.

Je remarque, par exemple, que les précautions minutieuses qu’ont prises nos historiens pour établir la certitude des faits qu’ils rapportent, ne vont pas sans quelques inconvéniens. Ces références qu’on accumule au bas des pages, ces pièces justificatives dont on alourdit la fin des volumes, devraient être un motif de sécurité ; elles sont quelquefois une cause d’inquiétude. De même que les échafaudages qui soutiennent une maison donnent aussitôt l’idée qu’elle n’est pas solide, il se peut qu’on se dise, en présence de eus documens entassés, qu’on ne prend la peine de justifier que ce qui a besoin de l’être, et la confiance s’ébranle par les efforts mêmes qu’on fait pour l’établir. Une fois avertis, nous regardons de plus près, et il est rare que cette recherche attentive ne nous suggère pas des motifs de douter. Nous avons réveillé l’esprit critique, c’est un merveilleux instrument de destruction, mais qui ne s’entend guère à reconstruire : en quelques années, il a semé l’histoire de ruines. Les gens sages nous disent que, s’il n’a détruit que des erreurs, il n’y a pas à s’en plaindre. Ils ont raison, sans doute, quoiqu’il y en ait, parmi ces erreurs, qu’on ne voit pas disparaître sans quelque regret, De toutes ces anecdotes piquantes, qui étaient la joie et la vie de l’histoire, je ne crois pas qu’il en reste une seule qu’on n’ait pas ébranlée. Les grands hommes et les grands événemens ont tous reçu quelque atteinte, et ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est qu’après avoir vidé la place, on n’y a pas construit d’édifice solide et qui se tienne debout. Rien ne dure de toutes ces constructions qu’avec tant de recherches et de labeur nous essayons d’élever. Au bout d’un peu de temps, la découverte de documens nouveaux, une meilleure interprétation des textes, ou simplement un goût de nouveauté changent les opinions reçues. Ce renouvellement, perpétuel donne l’idée qu’il n’y a rien de sûr dans l’histoire et qu’elle est toujours à recommencer. Il n’en était pas tout à fait de même chez les anciens. On était alors moins exigeant ; on se contentait plus vite. Quand un récit était fait avec talent, on était disposé à le bien accueillir, sans y regarder de trop près. Il arrivait qu’étant moins contesté, il paraissait moins contestable ; les faits présentés sans hésitation, sans discussion, comme s’ils n’avaient pas besoin d’être prouvés, prenaient quelque chose d’absolu, d’impérieux, de définitif, qui se gravait plus