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comme le trait capital du caractère d’un homme qu’il aime ou non les poèmes de Tennyson. Carlyle s’intéresse à la classe de couleur, comme aussi Darwin qui, en outre, fait cas des facéties de Mark Twain ; le voyageur rend donc pleine et entière justice à ces deux grands esprits. La maison de Rossetti, où Walt Whitman et même Joaquin Miller sont en faveur, lui paraît la plus agréable de Londres. En revanche Matthew Arnold est traité de haut pour avoir nié l’existence d’une presse américaine distincte de la presse anglaise et avoir mesuré à l’aune de sa critique la grande figure d’Emerson. Higginson est évidemment piqué de l’ignorance sur tous les sujets américains de beaucoup de dames anglaises. Il est vrai que cette ignorance ressemble fort à de l’impertinence quand l’une d’elles lui demande si réellement les Américains, en s’adressant à un nouveau venu dans leur pays, l’appellent toujours « étranger. » Une autre s’écrie : — Vous ne voudrez pourtant pas nous faire accroire que vous soyez content d’être Américain. Vous en prenez votre parti parce que vous ne pouvez faire autrement, voilà tout. — Chez Fronde l’historien, sa femme et sa belle-sœur n’en croient pas leurs yeux lorsqu’elles sont forcées de reconnaître en lui l’Américain annoncé. — Elles s’attendaient sans doute, dit-il en riant du bout des lèvres, à me voir débarquer en peinture de guerre, le tomahawk à la main.

Cependant les Américains munis de lettres d’introduction sont bien reçus ; on regrette seulement de ne pas trouver à quelques-uns plus de couleur locale. De même pour les livres d’Amérique agréés avec un certain empressement quand ils se présentent à la manière du clown en exécutant une culbute, mais auxquels on ne veut trouver d’autre mérite que celui de l’inattendu : l’Indien de Cooper, le nègre de Mrs Stowe, le joueur de Bret Harte, le portefaix de Whitman, à la bonne heure ! Leur succès peut de quelque façon rivaliser avec celui de Buffalo Bill ! En vérité, devant une pareille étroitesse il semble absurde de priser les arrêts d’une nation étrangère comme s’il s’agissait d’une espèce de postérité contemporaine. L’Amérique a pourtant ce grand tort, mais pour sa part Higginson n’est nullement disposé à s’incliner devant personne, lui qui a connu Emerson, Hawthorne et Parker ! Avec amertume il rappelle les injustices de l’Angleterre envers son ancienne colonie à laquelle si longtemps elle reprocha de tolérer l’esclavage, et qu’elle blâma ensuite de