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désormais ricaneurs de l’hégélianisme, il s’acharnait en patriote à l’étude des origines de la France contemporaine ; et Taine, prenant cette noble décision, était comme le symbole de la pensée française renouvelée. La pensée française, comme la pensée allemande, descendait du ciel sur la terre et de la sphère des nuages dans le domaine des réalités : aux yeux du Français qui jadis aimait « l’homme, » le Français blessé, meurtri, séparé du sol natal ou piétiné par l’invasion, apparut comme ce « prochain » qu’avant tout il convient d’aimer ; et la France amputée devint soudainement assez grande pour contenir la tendresse de ses enfans, et pour la retenir, et pour l’absorber tout entière.


II

Il fallait nous refaire une armée : l’œuvre fut si promptement accomplie que, moins de cinq ans après le traité de Francfort, Bismarck inquiet s’efforça, par de nouvelles provocations, d’entraver notre relèvement. Un principe fut mis au-dessus de toute discussion : c’était l’obligation du service personnel en temps de guerre. Durant les mois de résistance qui suivirent Sedan, le sentiment patriotique, de lui-même, avait pris l’initiative de cette nouveauté ; il appartenait à l’Assemblée nationale de l’introduire dans la loi ; c’est ce qu’elle fit, d’un accord unanime. On vit les héritiers des plus grands noms de France voter une mesure qui rouvrait droites et larges, pour leurs fils et leurs petits-fils, ces routes d’héroïsme où les aïeux avaient fait merveille ; et les représentans des « couches nouvelles, » de leur côté, acclamaient dans cette réforme une victoire du principe d’égalité. Noblesse ne dispense pas, disaient ceux-ci ; et ceux-là de répondre que noblesse avait toujours obligé ; entre les uns et les autres, le souci de la patrie demeurait un trait d’union ; et la collaboration qui durant l’année terrible avait groupé dans un même faisceau les Blancs et les Bleus se retrouvait encore, à de certaines heures, entre les chevau-légers de l’extrême droite et les intransigeans des gauches avancées. Gambetta fut injuste envers l’Assemblée nationale, le jour où il parla de cette « assemblée qui empêchait de voir la France ; » dans la discussion de la loi militaire, qui fut son œuvre principale, elle se comporta, tout au contraire, comme une véritable représentation de l’âme française, — de cette âme irrémédiablement troublée, incessamment