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maintenus, si elle n’avait pas senti, avec beaucoup de tact et de délicatesse, qu’il valait mieux, pour le moment, ne pas se mêler au tête-à-tête de la France et de l’Italie.

Comment les navires russes étaient-ils venus à Toulon, cela importe peu. On a dit que l’amiral Birilef avait agi sans instructions, et, quelque invraisemblable que le fait puisse paraître au premier abord, il n’est pourtant pas impossible, si on admet que l’étape de Toulon était naturellement comprise dans le voyage de l’amiral, qui, parti de Gênes, devait se rendre à la Seyne pour quelques réparations dont ses navires avaient besoin, et de là à Barcelone. Quoi qu’il en soit, le gouvernement russe n’a pas voulu permettre que des interprétations erronées continuassent de courir sur un incident dont l’importance était tout artificielle. Il a envoyé ses navires, non pas à Toulon, mais à Villefranche, saluer M. le Président de la République. L’amiral Birilef et ses marins ont été accueillis chez nous avec l’empressement habituel. Ils n’avaient d’ailleurs pas besoin d’acclamations nouvelles pour savoir à quoi s’en tenir sur nos sentimens envers leur pays.

Nous avons dit que la présence d’une escadre russe dans les eaux françaises aurait modifié le caractère qu’on était convenu, à Rome et à Paris, de conserver à la manifestation. Quelle que soit la liberté que conservent les gouvernemens engagés dans un système d’alliances, ces alliances subsistent, et il en résulte certaines convenances qui doivent être ménagées et respectées. Si une escadre russe, commandée par un officier de l’importance de l’amiral Birilef, s’était trouvée à Toulon à côté de notre flotte, il y aurait eu là une représentation maritime de la Duplice, et dès lors l’Italie aurait pu éprouver un peu d’embarras à accomplir une démarche qui aurait été interprétée dans certains milieux, non pas seulement comme un acte de sympathie à l’égard de la France, mais comme une sorte d’adhésion au système politique qu’elle représente avec la Russie. On vient de voir, par l’exemple des navires russes et par l’attention inquiète qui s’est attachée à leurs mouvemens, à quel point l’opinion était quelquefois sensible aux moindres choses, et les gouvernemens ne le sont pas moins. Les diplomates ont l’esprit volontiers subtil. Ils ne laissent rien échapper de ce qu’on leur montre et ils cherchent à en déduire ce qu’on leur cache. Leurs commentaires, pour être plus prudens que ceux des journaux, ne sont pas toujours moins inventifs. Or, l’Italie, quelles que puissent être ses vues d’avenir dont elle entend avec raison demeurer seule maîtresse et qu’elle ne déterminera que d’après ses intérêts, fait actuellement partie de la Triplice et reste fidèle à ses engagemens.